Lustin est une ancienne seigneurie hautaine qualifiée de haute Cour tréfoncière (qui se rapporte au tréfond : redevance tréfoncière) et qui s’étendait sur Maillen, Profondeville, Frênes, Frappe-cul et Tailfer.
Historique
Lustin proprement dit, fief comtal, est cité avec certitude dans un parchemin daté de 1066, par lequel THEODUIN évêque de Liège, transporte à l’église de Huy, Lustin et ses dépendances.
L’évêque de Liège en était le seigneur hautain.
Sceau de l’évêque de Liège Théoduin (1048-1075)
Après 1066, fut nommé le maïeur de la haute Cour de Lustin; il dépendait du chapitre de l’église de Notre-Dames de Huy.
Comme il était d’usage que l’église ne pouvait pas pratiquer la haute justice dans les territoires dont elle était le seigneur, elle avait à cet effet, nommé des avoués (Maïeurs) qui, en place et lieu de son autorité, rendaient et accomplissaient la justices dans ses domaines.
Il fut de même à Lustin ou en 1350, nous trouvons comme avoué Raes d’Elzée, puis en 1370 Thibaut, son fils.
Les localités de Lustin et de maillen, passèrent de la principauté de Liège dans le domaine de Poilvache, puis aux mains du comte de luxembourg, elles formaient avec quelques villages, la mairie de Rendarche.
En 1400, un accord intervient entre le chapitre de Huy et le comte de Namur, Guillaume I dit le Riche, au sujet de la justice de Lustin et Maillen: le chapitre n’est que seigneur foncier et percevra, à ce titre, deux tiers des amendes prononcées par ses échevins, le dernier tiers reviendra au comte.
Le chapitre de Huy reste seigneur foncier de Lustin, maillen et Profondeville jusqu’en 1626.
La seigneurie exerçait le droit de 20ème denier sur la valeur des immeubles aliénés dans le ressort de la cour; elle percevait en tout ou en partie les amendes prononcées par la Cour à charge des délinquants ainsi qu’un impôt dit d’afforage (droit que l’on devait payer au seigneur en échange du privilège de vendre certaines boissons dans toute la seigneurie).
Les droits de menue chasse, de franche garenne, de grosse chasse aux noirs et aux roux (c’est-à-dire aux sangliers et aux cerfs) ainsi que celui de pêche dans les rivières revenaient aux seigneurs.
Bâtiments de la cour de justice de Lustin (Photo S.Rousseaux-2004)
Cette cour de justice à siégé de nombreuses années dans les murs de cette vieille bâtisse située à côté de l’église de Lustin. Il est très probable que certaines sentences se soient déroulées à quelques mètres de là.
On raconte qu’il y a environ 150 ans se dressait à côté de la place , un vieux tilleul et près de lui, un pilori de justice. On peut encore voir aujourd’hui une curieuse pierre ronde encastrée dans le mur d’enceinte de la cure et qui semble être un vestige de ce pillori.
Un vestige du pillori de justice. (Ph.S.Rousseaux)
La seigneurie de Lustin comprenait une église paroissiale, 5 censes comprenant 6 charrues, 43 manoeuvriers, 400 bonniers de biens communaux. (Souverain Baillage – N° 26 – fol.29)
Quant à la seigneurie de Maillen, elle n’avait d’autres prérogatives que les droits d’amende et de chasse. Elle avait été vendue en engagère (se dit d’un domaine ou bien que le souverain concède moyennant une certaine somme avec la faculté d’y rentrer en remboursant le prix versé) conjointement avec celles de Lustin, Profondeville, Frappe-Cul et Tailfer, par le roi d’Espagne Philippe IV, à Arnould de MAROTTE qui en devient seigneur hautain, le 19 décembre 1626 pour 7100 florins.
Philippe IV d’Espagne
Par la suite, les seigneurs se transmirent ces domaines par héritage ou par mariage jusqu’à la révolution. A cet égard, il convient de préciser ce que signifie l’expression « faire relief » citée ci-après. L’héritier d’un homme de fief devait endéans les quarante jours après que le décès de celui-ci était venu à sa connaissance, relever le fief et payer les droits et le chambellage ou « Camerlinck-Ghelt . Il disposait ainsi de quarante jours pour apporter à son Seigneur le dénombrement de son fief. Pour entrer en possession du dit fief, il devait passer par trois cérémonies essentielles : l’hommage, la foi et l’investiture.
Succède à Arnould de Marotte:
Nicolas de MAROTTE, son fils, qui fit relief le 19 juin 1640.
Adolphe de CRISNEE le 11 mars 1643.
Jean de FUMAL le 4 août 1655.
Viennent ensuite les membres de la famille d’HARSCAMP, vieille famille hollandaise originaire de la province de Gueldre. Hendrik vint s’installer à Namur à la fin du XVlème siècle. Il devint au début du XVIIème siècle le « grand munitionnaire des troupes espagnole ». Dans ses terres de Chauveau, à Godinne, il fit fabriquer des fusils et forer des canons (S. BORMANS – La Famille d’HARSCAMP – A.S.A.N. Tome XIV – P. 20-82).
Vincent, fils d’Hendrik, né en 1597, devint échevin de Namur. II acheta la seigneurie de Lustin le 27 octobre 1664 pour 3.124 florins.
Pontian d’HARSCAMP, fils de Vincent, fait relief le 14 avril 1678.
Charles-François de PAULE, baron d’HARSCAMP, fils de Pontian, fait relief le 24 octobre 1711. Il fut bourgmestre de Namur de 1731 à 1733. Il devint ensuite lieutenant-gouverneur de la province.
Charles-Antoine, Comte d’HARSCAMP fait relief le 21 août 1742. C’est le parrain de la grosse cloche de notre église, baptisée en 1725.
Charles-Joseph, Comte d’HARSCAMP, fait relief le 21 août 1745.
François-Pontian, Comte d’HARSCAMP, fils de Charles-François de PAULE, fait relief le 11 avril 1747.
Il convient de s’étendre plus longuement sur ce dernier représentant de la famille d’HARSCAMP à la seigneurie de Lustin.
Pontian d’HARSCAMP était capitaine de Dragons au service de l’Autriche (nos provinces étaient soumises à ce pays depuis 1714 – Congrès de Rastadt – jusqu’à l’insurrection soulevée par les mesures vexatoires de Joseph II en 1799). Au cours d’une cure d’eau à Aix-la-Chapelle, Pontian rencontra celle qui devait devenir son épouse : Isabelle BRUNELLE. Après leur mariage en 1748, ils gagnèrent la Hongrie où le Comte était propriétaire de nombreuses terres. Il avait confié à un homme d’affaires l’administration de ses biens en Belgique et notamment la restauration de l’église de Lustin.
Trois enfants sont issus de leur union : une fille qui mourut très jeune et deux fils qui décédèrent à l’âge de 18 et 17 ans à dix jours d’intervalle lors d’une terrible épidémie de petite vérole en 1769.
Après ces deuils, Pontian et Isabelle rentrèrent en Belgique et s’établirent au Château de Fernelmont.
A sa mort, survenue en 1794, le Comte Pontian d’HARSCAMP laisse tous les biens qui lui restaient à sa veuve, laquelle gagna aussitôt l’Allemagne. La République Française qui venait d’annexer nos provinces édicta les lois sur l’émigration, et les biens de la Comtesse furent confisqués. La levée de séquestre étant intervenue, elle rentra en Belgique fin de l’année 1800 pour s’installer dans sa maison du Marché de l’Ange à Namur (qui devait être plus tard l’Hôtel d’HARSCAMP). Elle est décédée à Namur le 5 mai 1805. Au cours de son séjour en Allemagne, en raison des lois françaises sur l’émigration déjà citées, la Comtesse d’HARSCAMP avait vécu en compagnie de plusieurs familles d’émigrés, notamment les de BRIAS, d’ELZEE et de BEAUFORT.
Par testament, elle affectait une grosse partie de sa fortune à la fondation d’hospices à Aix-la-Chapelle et à Namur. Deux rues de Namur portent les noms du Comte d’HARSCAMP et de son épouse.
(S. BORMANS – La Famille d’HARSCAMP – et A.S.A.N. – Tome XIV p.20-82 – et journal « Vers l’Avenir » du 28/02/1953).
Par son testament rédigé le ter mai 1787, le Comte d’HARSCAMP léguait également aux administrateurs des domaines de Lustin une rente de 200 florins brabant à charge de pourvoir à l’instruction des enfants pauvres, des pauvres, infirmes et des pauvres orphelins. L’attribution de cette rente prit fin en 1842, époque où les biens de la seigneurie ont été vendus.
A signaler que dès 1711, les batiments du siège de la seigneurie sont affectés en tout ou en partie à une activité agricole et sont appelés « la cense ou la ferme de la fontaine« . L’exploitation compte quelque 50 hectares et produit principalement de l’épautre, de l’avoine, du seigle et de l’escourgeon.
Les Harscamp possèdent également à Lustin « la ferme de Sardé« au centre du village (Probablement les bâtiments à droite de « Notre maison ».) et « la ferme de Frêne« au bord de la Meuse (Détruite et remplacée par la « CIBE ».)
Par ce même testament, Pontian d’HARSCAMP a légué les domaines de Lustin au Comte Philippe-Alexandre de BEAUFORT SPONTIN qui était chargé de l’exécution du testament.,
Après celui-ci, les domaines de Lustin passeront aux mains de son neveu Frédéric-Auguste-Alexandre, Duc de BEAUFORT, marquis de Spontin et de Florennes (1795)
Signalons qu’un document cadastral dressé en 1810, détaille comme suit les biens sis à Lustin appartenants au susdit duc de Beaufort :
LIEU DIT | NATURE | SUPERFICIE |
Vieille Ferme | bâtiments | 16 a. 40 ca. |
jardins | 30 a. 96 ca. | |
Village | Bâtiments | 13 a. 74 ca. |
abreuvoirs | 1 a. 76 ca. | |
Divers | Terres | |
Prés | ||
Pâtures | ||
Futaies | ||
Taillis | Total divers: 263 Ha 2 a. 37ca. |
En 1830, les bâtiments de l’ancienne cour de justice appartiennent à la duchesse de Strozzi, fille de Frédéric-Alexandre de Beaufort-Spontin, habitant Florence et grande propriétaire foncière dans la région. Elle les cède ensuite à Joseph Dubois, receveur des contributions de Dave.
C’est vers 1846 que le bien est acquis par Hyacinthe Delloye (1785-1861) maitre de forges à Huy et grand-père de la grand-tante de Robert Gillis.
Monsieur et Madame Gillis achètent le domaine en 1967. Ce sont aujourd’hui les enfants de ces derniers qui occupent les lieux.
Les maieurs de Lustin
Après avoir prêté serment, le maïeur nommait lui-même les échevins de la commune en présence des délégués du Chapitre de Huy.
Bien que la charge de maïeur se payait plus de cent sols de blanc, et qu’elle ne fut pas rémunérée par des appointements fixes, la fonction n’en demeurait pas moins très lucrative.
Le maïeur avait droit de percevoir les amendes infligées par les échevins, de toucher certaines redevances sur les saisies, et de percevoir certains droits lorsqu’il sortait la nuit; pour entendre un témoin; pour une prestation de serment ; pour tout adjour et réadjour ; pour chaque conseil donné à partie ; pour une rencharge; pour un enregistrement de testament ; pour un contrat de mariage etc…
La cérémonie de prestation de serment du maïeur avait lieu dans l’église.
Là, en présence de la cour, le greffier donnait lecture des lettres patentes du Chapitre de Huy, qui conférait à l’élu les fonctions de maïeur.
Le délégué du Chapitre, le curé, et le nouveau maïeur, montaient sur les marches du grand autel ou reposaient les Saints Evangiles. Le maieur posait les doigts sur le livre et répétait le serment qui lui était lu par le greffier.
Ensuite tous trois se rendaient au jubé. Le délégué, se saisissant de la corde de la grosse cloche, la présentait sous la main du maire et sonnaient trois fois ensemble.
Ceci était le rite de la mise en possession de la charge. Le texte du serment lors de la prestation était sensiblement celui-ci:
« Je ……. jure par le Saint-Corps de Jésus-Christ et sur les Saintes Evangiles ci-présentes, qui, au fait de la mairie de………. je serai » bon et loyal et aiderai à administrer droit, loi et justice à chacun, toutes quantes fois que requis ou semonce en serai, et si aiderai à garder » les dits droits hautains et seigneurie de mon dit seigneur de………. » le droit de l’église, des veuves femmes et des orphelins, et en outre, » promets d’entretenir les chartes et privilèges tels qu’ils sont en mon légal pouvoir et puissance et faire ce que tout ce que bon et loyal maieur peut et doit faire. » |
Voici à titre documentaire, quelques noms de maïeur et bourguemestre qui exercèrent leurs fonctions à Lustin:
1471, Gillechon Bilkin
1502, Jean Libert
1540, Jehan Mathis
1572, Jehan. Rifflart
1596, Arnauld Marotte
1610, Adrien Lardinois
1615, Jean de Ronnet
1623, Jean Mathis
1624, Adrien Lardinois
1642, Gilles Herencq
1705, Robert Brant
1731, Hubert Lambert
1749, Antoine Dubois
1774, Joseph Collot
1777, Philippe-Robert Stienon
1788, Jacques-Joseph Salpêteur
1805, Pascal Laurent
1809, Baron de Moniot d’Hestroy
1818, Jacques Marchal
1830, Gaspart Bertrand
1843, A. Baivy
1846, A.-J, Morimont
1853, J.-C.-F. Delvaux
1876, D. Marchal
1931, Eugéne Falmagne
1937, Gilbert Brasseur
1941, Eugène Gilbert (intérimaire)
1947, Jean-Baptiste Jassogne
1959, Léon Delplace
1965, Louis Grès
1971, Antoine Lannoy (dernier bourgmestre avant la fusion des communes en 1977.)
Détails architecturaux des bâtiments de la cour de justice.
Sur la droite, en face de la fontaine au millésime de l’année 1701 (Fontaine de St-Lupicin, rue du cimetière), s’élève un ensemble de bâtiments aux substructions épaisses et fortement consolidées. La pierre de taille de l’encadrement des portes à plein cintre, des montants aux lignes sobres, des fenêtres géminées ou ternées, ainsi que de l’encorbellement des toitures, s’harmonise de façon heureuse avec la pierre du pays où le temps a marqué sa patine. Ces constructions avec, comme toile de fond, la haute silhouette de la tour de l’église paroissiale, constituent l’un des endroits les plus caractéristiques et familiers de la localité.
La cense de la fontaine en 1903. (Ancienne cour de justice)
(…) C’est un véritable manuel d’histoire locale que l’intérieur de ces vénérables témoins du passé! Chaque pierre, de la cave aux combles, en passant par la salle au plafond à caisson et à cheminée monumentale, raconte, dans son immortel silence, la vie et évoque le souvenir des seigneurs de Lustin.
Venant de la ferme (manoir) un couloir aboutissait jadis dans la tour de l’ancienne église, et se fermait par une trappe. Ce couloir fut bouché, lors de la construction de l’église actuelle en 1857. Le souterrain reliait donc les habitations seigneuriales avec l’église paroissiale.
(Article de J Libaux, publié dans le journal Vers l’Avenir du 26/02/1946).
A l’origine, ancien relais de chasse du roi Philippe IV d’Espagne.
Construction gothique en grès de la 1ère moitié du XVIe siècle, comprenant un corps de logis flanqué de deux ailes en retour enserrant une avant-cour grillagée. Volume principal à deux niveaux sur base biseautée dont la partie droite est légèrement plus basse. A l’étage, intéressante fenêtre à croisée sous linteau en accolade. Grand arc de décharge au rez-de-chaussée. Autres petites baies à linteau droit et congés. Fenêtre à croisée du XVIIIe siècle à gauche. Percements des XIXe et XXe siècle. Bâtières d’ardoises, à croupes sur la partie haute. A l’intérieur, deux cheminées Renaissance.
Une des cheminée de style Renaissance
Aile gauche légèrement plus basse avec percements du XXe siècle, sauf une porte en anse de panier et congés. Aile droite surélevée et approfondie au XXe siècle, avec façade en brique. Bâtière primitive marquée par un soin en pierre dans le logis.
Pignon Sud-Ouest assez élevé à cause de la dénivellation du terrain. Percements divers, linteau droit, traverse et queues de pierre d’une baie à linteau en bâtière. Remaniements récents: toiture débordant et auvent aux fenêtres, défigurant complètement l’ensemble. A l’intérieur, escalier à vis d’origine.
(Le patrimoine monumental de la Belgique, volume 5, tome 1, Province de Namur).