Les forges à Lustin étaient relativement nombreuses dans ce petit village.
Chaque forgeron avait sa spécialité. Chez les Ferraille, dont la forge était située rue St-Léger à côté de l’école, on s’occupait principalement des chevaux tandis que chez Lefèvre on se spécialisait surtout dans le travail de ferronnerie comme le cerclage des roues de charrette et les clôtures. On distingue encore un cerclage dans les graviers, devant cette ancienne forge située également rue St-Léger au coin de la place de l’église.
Plaque circulaire de béton ayant servi aux cerclages des roues de chariot, par le forgeron Lefèvre. Elle se trouve dans le trottoir face au n°13 de la rue St-Léger, mais est en partie recouverte.(Ph.Vital Taviet)
Celle de Camille Laloux également rue des 4 arbres fut la dernière du village.
Une forge plus anciennne se trouvait rue des 4 arbres, n° 5 dont voici trois photos.
La plus importante était la forge-fonderie Donau à Tailfer.
L’emplacement de l’ancienne forge.
La forge située 5, rue des 4 arbres en 1903 coté rue.
La forge située 5, rue des 4 arbres en 1903.
La forge de Jean-Joseph Donau à Tailfer a été la plus importante.
Voici le témoignage de Madame Minet.
Chez la famille Minet, on était forgeron de père en fils. Léa Minet se souvient très bien de cette époque où on sollicitait le forgeron pour divers travaux. Son grand-père Henri possédait déjà une forge, rue Covis. Son père, Charles Minet, s’installa dans une vieille habitation au cœur du village, juste en face de l’église. Cette habitation, datant de 1763, fut la propriété d’un curé, d’un boulanger ou encore de fermiers.
Avec l’arrivée de la famille Minet en 1922, celle-ci fut très vite un centre d’activité commercial important. Ainsi, une grange spacieuse à l’arrière de la maison abrita la forge, tandis que la maison devint une petite épicerie « végé » appréciée des villageois en raison de la diversité des produits présentés et qui ferma en 1973.
La maison de Madame Léa Minet en 2006.
L’ancienne épicerie-quincaillerie Minet.
L’ancienne forge de Charles Minet en 2006.
Pour seconder Charles Minet, un ouvrier était employé. Le dernier était Camille Lhonnoy. On venait de loin pour demander les services du forgeron mais les agriculteurs et les carriers représentaient le gros de la clientèle. Les uns pour les fers à cheval à remplacer ou les cerclages des roues de charrettes, les autres pour acheter leurs outils.
Charles Minet
Meule de l’ancienne forge Minet.
Les carrières étaient nombreuses dans le coin et le travail ne manquait donc pas.
D’ailleurs bon nombre de ces ouvriers possédaient des outils signés par Charles Minet lui-même. De nombreux villageois venaient acheter ou réparer des outils pour la coupe du bois (Haches, courbets etc…) Il fallait prendre rendez-vous parfois longtemps à l’avance.
Durant l’hiver, les enfants venaient en nombre ferrer leurs traîneaux avant de dévaler les pentes parfois abruptes des vallées lustinoises.
Léa Minet se souvient encore avec émotion du bruit provenant des coups rythmés sur l’enclume et des couleurs vives du fer rouge plongé dans le charbon gras incandescent. Elle se souvient aussi de sa peur quand elle voyait arriver dans la cour intérieure certains chevaux nerveux, capables de soulever de terre son père durant le ferrage du sabot. Parfois les chaînes arrimées aux murs ne suffisaient pas à maintenir ceux-ci. Les journées étaient longues et ne permettaient pas au père de gérer les comptes. La maman de Léa Minet, déjà gérante de l’épicerie et de la quincaillerie, s’occupait alors des comptes et des commandes. Une fois par an, la saint Sylvestre terminée, Charles Minet et sa fille se rendaient alors en vélo chez les clients situés parfois très loin pour réclamer l’argent des récalcitrants ou retardataires.
Au sujet du livre de comptes, Mme Minet se souvient d’une anecdote:
Pendant la guerre de 1940-45, Charles Minet décida de se joindre à l’exode vers le sud, en France libre. Il quitta sa maison avec sa petite famille et sur la route de la vallée de la Meuse, il se rendit compte qu’il avait oublié son livre de comptes.
« Nom d’une pipe » se dit-il. « Il y avait tellement de gens qui me doivent de l’argent ». Il fit demi-tour et remonta la côte du village pour reprendre son précieux bien.
Il l’attacha sur son porte-bagages et prit la direction de Gembloux. Malheureusement il le perdit en cours de route. Ce fut une catastrophe ! Le livre voyagea dans les mains d’une bande de voleurs et fut retrouvé par la police dans le village pillé de Bossières. Quelques mois plus tard, la famille Minet, de retour à son domicile, fut interpellée par la gendarmerie. Celle-ci pensait que les Minet faisaient partie des pilleurs du dit village. Après de nombreuses discussions, le soulagement fit place à l’inquiétude car on avait retrouvé les comptes de Monsieur Minet. Ouf !
Charles Minet
Aujourd’hui, bien sûr, la forge n’est plus. La profession a disparu en même temps que les autres petites entreprises habituelles que l’on retrouvait avant la guerre. Chez Madame Minet, il ne subsiste que quelques traces de l’ancienne activité. La suie est toujours présente et il semble raisonner encore le son percutant du marteau sur l’enclume.
Vestiges de la forge Minet en 2006.
Merci à Madame Léa Minet pour son témoignage et ses documents. (2006)