En 1945 vint s’installer à Lustin le plus illustre écrivain wallon, auteur à succès et grand défenseur des racines wallonnes. Arthur Masson, puisque c’est de lui qu’il s’agit, désireux de retrouver la quiétude d’un village wallon qui lui rappellerait sa Thierarche natale, choisit le joli village de Lustin pour sa vue sur cette Meuse si chère à son coeur. Fuyant les villes, il aimait la simplicité de cette campagne accueillante où il comptait profiter du temps passé avec sa famille et replonger dans l’écriture.

Arthur Masson et son épouse Anna Fremy (photos Jean-Michel Meert)

« On est stupéfait, parfois, de découvrir combien les gens de chez nous ignorent leur propre pays, même en ses proximités les plus immédiates. Notre paysan, surtout, est casanier, par lésinerie peut-être et faute de temps aussi à consacrer à la découverte, mais plus sûrement par indifférence »(Le grand Gusse, 1949).

Très vite il va retrouver les gestes simples de l’hédoniste amoureux de la vie paysanne. Tout est là pour lui faire oublier les horreurs de la guerre: les hauts rochers de Frênes, la Meuse et ses chemins de halage, la forêt qui jouxte la maison. Dans son livre « Le grand Gusse » Arthur Masson décrit ce pays comme suit:

« La Meuse (…), ce fleuve nourri de mille ruisseaux et de rivières qui lui apportent les tonalités moirées des sous-bois ardennais et le mystère ombreux des grottes, il s’étale comme une soie fine de bannière, d’un état discret, brillante tout juste assez pour refléter sans crudité, avec même des assourdissements raffinés, les merveilles qui bordent ses rives. Ces merveilles, ce sont les collines toutes moutonnantes de forêts d’un vert sombre qui insèrent et enchevêtrent leurs racines sous la pierre; ce sont les rochers vieux comme la terre, érodés à pic, en falaises de vieil argent, avec des caries dans le flanc, des trous étranges comme des orbites vides, des plaques de lichens bruns, des devantiers de lierre agriffés par des myriades d’hameçons vivants et tenaces dans le calcaire qu’ils mordent et rongent; ce sont aussi les corneilles criardes tournoyant en nimbes noirs et obliques autour des pitons effrités qui s’érigent comme des tours de cathédrales incendiées sur un ciel d’aquarelle, un ciel qui dessine jusqu’à la minutie les détails de leurs moignons. Merveilles encore les maisons chargées d’ans ou pimpantes de jeunesse, châteaux séculaires avec un tympan où luit doucement le vieil or des blasons, perrons solennels aux marches brisées et recousues d’ancrages, villas somptueuses accablées sous les glycines, les aristoloches et les clématites parmi des parterres méticuleux comme des mosaïques; bungalows à la fois timides et maniérés comme des midinettes dans le monde; cabarets blanchis à la chaux, posés au long des chemins de halage avec des tonnelles de rosiers grimpants; églises vieillottes et touchantes dont le clocher ressemble à un berger un peu las et qui se tasse dans sa houppelande grise pour surveiller pensivement son troupeau… »

Dans sa villa, ses journées sont faites de lecture (une bibliothèque tellement impressionnante), d’écriture, de promenades avec son ami Adrien de Primorel, de visites comme celles de son autre ami Jean Legrand, de jardinage car il aimait entretenir une superbe roseraie recouvrant la façade. Ce sont les plus belles années de sa vie . Ne dira-t-il pas d’ailleurs : « J’ai des bois dans le dos et la Meuse en face de ma maison. Qu’y-a-t-il de plus beau que la Meuse? (…) A Tailfer, je travaille tranquillement, je fignole mes textes, je bavarde avec les gens, je ne sors jamais de mon trou sauf pour aller à Bruxelles: une expédition. »

Les Lustinois qui passèrent en ces temps-là, non loin de la villa, devaient parfois entendre l’une ou l’autre détonation. C’est que notre ami Arthur aimait chasser le lapin de sa fenêtre sous les combles. Heureusement les passants ne furent pas victimes d’un coup de chevrotine égaré car il semblerait que notre Lustinois d’adoption ne fût pas un bon tireur.

Le mystère de la Villa des Acremonts.


Quant à la villa des Acremonts, du nom du bois qui jouxte la demeure mosane, elle existe toujours même si le souvenir de l’écrivain s’efface petit à petit. Du séjour d’Arthur Masson, il subsiste une céramique encastrée dans la façade. Une céramique brisée en trois représentant 2 lions stylisés protégeant un parchemin. L’énigme qui entoure cette pièce provient de son origine inconnue. Sédentaire, notre Daudet wallon voyagea cependant quelques fois et rapporta cette céramique d’un de ses voyages. Mais quel voyage, quel pays, quelle histoire se trouve derrière cette œuvre accrochée encore actuellement sur la façade à côté désormais d’une autre plus officielle qui porte le nom et l’époque du séjour de l’écrivain wallon.

 La maison d’Arthur Masson dans les années 50

L’ancienne maison d’Arthur Masson en 2004(photos Jean-Michel Meert)

En 1955, son épouse Anna Fremy décède. Inconsolable, Arthur Masson décide de quitter cette demeure qui lui apporta tellement de joie et de moments merveilleux en compagnie de la femme de sa vie. Il préféra s' »exiler » à Namur, seule ville chère à ses yeux, lui qui détestait la vie urbaine. Un départ, certes, mais toujours en bord de Meuse….

Extrait du livre « Le grand Gusse » parlant de Lustin:       

lls atteignirent le village au bout de la montée qu’ils s’imposèrent de gravir sur leurs machines. Ce village avait pour lui la beauté des grands horizons forestiers qui ceinturaient ses fraiseraies innombrables, ses prairies et ses champs, mais lui-même n’était que productif et utilitaire. On y élevait veaux, vaches, cochons et couvées. On y moissonnait, on y extrayait des pierres diverses, on en tirait en juin des tonnes de fraises qui se voulaient modestement, et comme celles de chacun des villages voisins, les meilleures de la région, mais rien n’y arrêtait le regard parce qu’il offrait aucune surprise, ni charmante, ni déplaisante. Le plus drôle, c’est que, avec son air neutre, incolore et banalement conformiste, il affichait des prétentions, d’ailleurs officiellement reconnues, de métropole communale et paroissiale. L’éden que venaient de quitter les deux garçons et qui se mirait dans la Meuse n’était qu’un hameau de ce village sans accent, ni fumet. Il en avait même deux, de hameaux. Et le second qui, lui aussi, bordait la Meuse, à trois kilomètres en aval du premier, ne le cédait en rien à celui-ci. Il en était séparé par la large falaise au sommet de laquelle les deux garçons s’étaient reposés, et ces falaises, encore et toujours, s’intégraient dans le territoire du village que nul ne soupçonnait en son lointain et d’ailleurs invisible isolement. Ce second hameau devait son nom à un pétillant ruisseau et ce nom sonnait comme Durandal sur le roc de Roncevaux. Le coin offrait au géologue et à l’artiste des richesses minérales et picturales exceptionnelles sinon uniques, car il était en partie adossé à des rochers de poudingues rouges et massifs comme des lingots de cuivre. A l’automne, les feuilles mourantes de la forêt variée qui les couvrait faisaient avec le rouge sombre de ces roches une symphonie de rare perfection. Et somme toute, ce village, avec ses deux hameaux féeriques, c’était le rustre que ses enfants, à son orgueilleux étonnement, ont dépassé en de somptueuses réussites.

Bibliographie.
– Arthur Masson, un Pagnol wallon : père de Toine Culot, symbole ardennais; La Renaissance du Livre, 2000
– Arthur Masson ou le partage du plaisir : 1896-1970; Institut Jules Destrée, 1999
– L’énigme de la Villa des Acremonts en Pays de Dave; mars 2001, n°117, p.4-5

Liens utiles.
http://www.espacemasson.be/

Photos: Jean-Michel Meert ( collectionneur et spécialiste d’Arthur masson). Renseignements: jeanmichel.meert@skynet.be

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