Une des trois activités économiques les plus importantes du village de Lustin était l’extraction. La révolution industrielle et le développement des moyens et voies de transports exigeait des matériaux comme le grès, la pierre, le fer dans des quantités importantes. La situation géologique exceptionnelle de la Vallée de la Meuse offrit dès lors de l’emploi à des centaines de personnes. Les carrières apparurent et avec elles de nombreux commerces « satellites » dépendants de cette industrie.
Lustin regorge de carrières souvent très anciennes que le promeneur pourra observer à travers les broussailles, car la végétation a tout recouvert depuis.
Les carrière de marbre.
Le 15 mai 1867, une autorisation est accordée à François SERESIA, maître de carrière à Profondeville, d’installer à Tailfer une machine à vapeur pour la scierie du marbre et le polissage des carreaux.
En 1896, on recense 49 ouvriers dans une carrière de marbre. A la carrière de Tailfer, appartenant anciennement à François Leyens, le flanc gauche de celle-ci est constituée de roches calcaires.
La carrière de marbre de Tailfer.
Le marbre n’est autre qu’un calcaire susceptible d’acquérir par polissage un aspect brillant et ornemental. Tailfer exportait des pierres vers le Zuiderzee. Le marbre de cette carrière est du marbre noir rubané, dénommé « Grand antique de Meuse ». Rubané par des stries qui sont, en fait, des fossiles allongés.
Coupe « Grand Antique de Meuse » réalisée par P.Boreux
Avec ce type de carrière pas besoin d’explosion car elle rendrait la pierre inutilisable. Le marbre est donc extrait par sciage. Les carriers creusent deux puits à hauteur d’homme, distant l’un de l’autre d’une dizaine de mètres environ. Un fil hélicoïdal dont la longueur peut atteindre deux kilomètres est installé grâce à un système de poulies. Le fil est lentement descendu par les deux pertuis et scie la roche (l’effet abrasif étant obtenu par un mélange adéquat de sable et d ‘eau). Le débitage du bloc arraché à la roche est ensuite assuré par forage. Des trous sont pratiqués dans le bloc, distants de 30 cm environ et alignés dans le sens de la veine; ensuite, une fente est creusée au burin et le bloc est scindé à l’aide de coins de bois mouillés.
Le bloc de marbre était amené alors à la scierie sur un wagonnet plat, en vue de son découpage en tranches d’environ 2,5 cm d’épaisseur.
Vers 1958, un bloc de 4400 tonnes fut découpé selon la méthode expliquée ci-dessus. Il avait fallu 75 tonnes de sable et 4km de fil d’acier. Si vous passez devant la carrière Gralex vous remarquerez encore cette découpe. Le marbre venant de cet endroit aurait servi à la construction de la crypte royale de Laeken.
La découpe des blocs de marbre.
L’endroit de la découpe des blocs de marbre en 2004.
La crypte royale de Bruxelles avec du marbre de Tailfer.
Les carrières de pierre.
En 1854 on ouvrait une carrière au lieu-dit « Fossé Al Croix » à gauche de la route conduisant vers Yvoi. On y produisait des moellons destinés aux travaux d’agrandissement de l’église de Lustin.
Carrière du fossé à la croix (Limite Lustin-Ivoy).
En 1896, Lustin comptait deux carrières de pierres comprenant au total 27 ouvriers.
Au début des années 20, Henri Jadin ouvre une nouvelle carrière au lieu-dit « Fossé à la croix » à droite de la route, pour production de moellons. Une modeste exploitation qui n’employait qu’un ou deux ouvriers et dont la production était écoulée exclusivement à Lustin. Elle disparut avec la guerre.
Dans les années 30, on créait des pierres de taille, des pierres à paver, des pierres à chaux et des moellons. L’industrie se porte bien et en 1937 une carrière comptait 45 personnes à elle seule.
Les carrières de grès.
De nombreuses concessions ont été accordées en des endroits divers:
En 1862, à un certain ROPS à Tailfer. La même année, à Monsieur DAPSENS au lieu dit « Chairotte Louis ». En 1869, à la Haie de Liège à Messieurs DESMET et DENYS. En 1879, à Louis I.YOT dans le bois des Acremonts. En 1921, Emile Thone racheta les carrières Lambotte, Goffaux et Wérotte à Tailfer.
On y taillait des pavés de grès.
Carrière de grès à Tailfer.
A la différence du marbre, le grès est extrait par explosion. L’ouvrier carrier fore un trou dans le bon grès avec un marteau pneumatique. Il utilise de la poudre noire qui est à combustion lente, la dynamite casserait tout. Cette combustion lente permet aux carriers de se mettre à l’abri derrière un pilier.
Lorsque le bloc est décollé, l’écarteleur doit le découper en plus petits morceaux pour le refendeur tout en tenant compte du « fil de la pierre ». Le refendeur est un dégrossisseur, il débite les blocs en tranches, déjà à peu près au format des commandes. Il se sert d’un gros marteau (le recoupeur) muni de 4 arêtes forgées, trempées; son poids, lorsqu’il est neuf, est de 7 à 8 kg. Le refendeur utilise également une sorte de masse utilisée pour fendre la pierre, c’est le « stokeu » à face légèrement arrondie. Il pèse de 7 à 10 kg, parfois plus. Les manches de ces gros outils étaient en frêne. L’écarteleur et le refendeur ne sont souvent qu’une seule et même personne. Lorsqu’un bloc est trop gros, il faut l’écarteler avant de le refendre.
Ces ouvriers étaient payés à la tonne. C’est l’épinceur qui en dernier façonne les pavés grâce à son marteau appelé « épincette ». L’atelier des épinceurs se trouve à l’extérieur. Les ouvriers achetaient leurs outils eux-mêmes, le patron payait les réparations, il intervenait un peu pour le forgeron.
Quelques outils d’un tailleur de pierre.
Aujourd’hui…
De cette industrie ne subsiste plus qu’une seule carrière à Lustin: Gralex.
Pour assurer les besoins grandissants du pays, les carrières ont considérablement augmenté leur production depuis la fin de la dernière guerre mondiale. Elles se sont fortement développées et ont été amenées à se regrouper pour permettre la concentration des investissements en un seul site judicieusement choisi plutôt que de les disperser. Les nuisances « traditionnelles » ont donc disparu en maints endroits mais se sont concentrées en moins de points , où elles correspondent à une plus grande production! C’est là qu’elles ont été perçues, épidermiquement parfois, par la population (La carrière cette méconnue, Fédiex).
Le Carioteû
Comme nous le voyons l’industrie extractive prend beaucoup d’ampleur au début du 20ème siècle. La main d’oeuvre manque. Aux minorités polonaises, hongroises ou yougoslaves viennent s’ajouter à partir de 1946 une très forte communauté italienne. Celle-ci vient avec ses traditions, ses fameuses recettes de cuisine méditerranéennes, son lyrisme et sa joie de vivre.
La journée du carrier
Le carrier travaille très dur car point de trêve. Souvent harassés de fatigue ils craquent et pudiquement cachent leurs larmes. Avant 1921, les semaines sont généralement de 48h avant de passer ensuite aux journées de 8h. L’ouvrier travaille à la pièce et donc son salaire est proportionnel au nombre de wagonnets remplis de pierres extraites et broyées fournies au concasseur. Le compte de ces wagonnets s’effectue au moyen de jetons de cuivre, percés en leur centre. L’ouvrier accroche un jeton par wagon à une ardoise marquée à son nom ou à un tableau communautaire divisé en autant de colonnes. De 1946 à 1952, l’ouvrier robuste peut remplir une trentaine de wagonnets par jour et s’assurer 200 à 250 francs mais la plupart ne gagne pas plus de 150 à 180 francs. Une très forte solidarité parmi les carriers permet de soulager l’effort et la souffrance physique. Heureusement dans les années cinquante le travaille s’humanise grâce à des systèmes de récompense ou de gratification.
Les tailleurs de pierres de la carrière de Tailfer.
Les préposés au fours à chaux se donnent le relais. Une équipe commence la journée à l’aube (5h, 5h30 environ) et la termine aux alentours de 14h. Vers 18h, une autre s’apprête pour la nuit. Une présence, même le dimanche, jour du seigneur, s’impose car les fours n’étaient pas encore automatisés.
Les accidents
Quant aux accidents sur les chantiers ils ne sont pas rares malheureusement. Souvent mortels au début du siècle, les récits ne manquent pas sur tel ou tel accident survenu. Des chutes de blocs ou des explosions mal calibrées entraînent des membres fracturés, amputés (surtout les doigts) ou encore des maladies graves comme la silicose, les troubles respiratoires, déformations du squelette etc.
L’habitat
Les travailleurs de la pierre occupent des demeures proches de la carrière ou sont dispersés dans les villages voisins. Le Carioteû possède généralement une maison et un lopin de terre qu’il cultive après sont travail. Nous avions une vrai économie mixte à une époque où les salaires gagnés au travail ne suffisaient pas et obligeaient les habitants à chercher d’autres rentrées d’argent. Agriculteurs d’origine ils se lançaient donc dans l’élevage ou la culture.
Pour les « étrangers » le logement était plus précaire. Il existait la cantine, lieu de repas mais aussi de repos. Lieu où le facteur dépose le courrier, où l’on échange les confidences, où l’on rit ou l’on pleure. Le rôle de la cantinière était alors crucial pour réconforter comme une mère ces ouvriers fatigués.
Les anciens bâtiments de la carrière de Tailfer.
Il arrivait aussi que le carrier qui venait de loin louait une chambre ou bien encore une petite maison miteuse comme la ladrerie de Lustin. Ce bâtiment à un étage, entouré d’orties, au rez-de-chaussée encombré de gravats et d’un vieux poêle. Par une échelle de meunier, on accède à la soupente garnie de vieux divans faisant office de lits.
En-dehors du travail
Comme expliqué ci-dessus le retour à la maison n’était pas toujours pour se reposer mais pour continuer le travail à domicile. S’il ne cultivait pas son lopin de terre, il profitait alors du beau temps pour réparer le toit, entretenir ses outils, effectuer des travaux d’entretien chez l’habitant. Certains des ouvriers allaient même jardiner dans certaines propriétés pour gagner quelques sous en plus.
Parfois le dimanche, il prépare un wagonnet de pierres pour s’avancer le lundi matin dans son travail à la pièce ou il défriche la falaise.
Le rendez-vous hivernal était le goûter annuel de la Sainte-Barbe offert par le patron et son épouse et toujours d’actualité… mais sans le patron.