Extrait d’un article écrit par Marie-Thérèse Maison (revue Wépion 2000)

 Héliodore Tiange

– Je suis né à Lustin, le 28 septembre 1879. Léopold II régne depuis 14 ans seulement. Je suis fils unique. Mon père exerce la profession de maître d’école, ce qui est exceptionnel dans une famille où l’on ne compte plus le nombre de charrons et de menuisiers. Cette famille s’est faite une solide réputation grâce à sa spécialité la construction de brouettes. Les Tiange fabriquent de longue date des brouettes à planches mais surtout des brouettes “conoye” montées selon le procédé des équerres et des goupilles en bois. L’absence de clous donne à ce type davantage de résistance. Les brouettes Tiange peuvent, en outre, contenir des charges plus importantes, ce qui est fort apprécié notamment au temps des récoltes, pour le transport du foin. Le bois qui sert à la fabrication s’obtient en vente publique.
Je me souviens avoir vu abattre un chêne de 600 ans.Ça m’a fait une peine énorme. L’arbre se dressait à proximité d’un groupe de houx et le feuillage du chêne s’alliait à merveille au vert vif du houx et au rouge de ses baies. C’était une merveille d’harmonie naturelle. Et il a fallu détruire cela…

J’ai toujours beaucoup aimé la nature. Enfant, je courais les bois, je folâtrais le long, des ruisseaux en quête de noisettes; de mûres, de myrtilles et de fraises., De bien bons moments. Le plus beau souvenir de mon enfance ? C’est un tableau qu’illumine le clair de lune.

J’avais 10 ans quand des amis de mes parents m’emmenèrent un soir d’hiver, avec leurs enfants, près de la chapelle Saint-Roch à Lustin. (Cette chapelle a été construite par la famille Tiange).

 La chapelle Saint-Roch en 1955.

Non loin de là, s’étend un vaste marécage. Comme il gèle depuis plusieurs jours, l’eau est prise et nous nous mettons à patiner, sous un clair de lune extraordinaire. Je n’ai jamais oublié cette soirée-là!
Mon enfance s’écoule pleine de mille choses : des bancs de l’école aux chemins creux, du patinage au clair de lune aux séances de ventes publiques d’arbres; des abattages en forêt aux repas chauds tout près d’un feu de bois, la vie s’écoule, riche en découvertes.
Vient le temps des vraies études.
Car mon père veut faire de son fils unique “quelqu’un de bien”.
Médecin ou curé, au choix…Bref, j’entame mes humanités gréco-latines au Collège Notre-Dame de la Paix à Namur. Chaque matin, je prends le train de 8 heures à la petite gare de Tailfer. Aujourd’hui; ce serait le train de 7 heures, car, après la guerre 14-18, on a bêtement troqué l’heure du soleil par l’heure de l’Europe.
Le collège, ça a duré deux ans. Manque de courage, absence de dispositions, je ne sais. Disons plutôt que j’aimais par-dessus tout ma liberté.
J’ai fui les bancs des Pères Jésuites pour courir à nouveau les prés et les bois ainsi que les coins les plus secrets de mon village.
Cette fois, j’étais armé d’un appareil photographique et d’un grand drap noir grâce auxquels je pouvais fixer sur la pellicule les images de mon adolescence.
La photographie; ce fut pour moi une révélation, un coup de foudre.
Je passais parfois des nuits entières dans la chambre noire d’un maître photographe namurois de l’époque. J’avais quinze ans à peine et je connaissais à la perfection les exigences des temps de pose, la technique du développement et de la fixation. Mes photos d’alors ont été fixées avec un tel soin que je peux encore vous les montrer; 75 ans plus tard, pratiquement intactes.
Et voilà notre passionné de photographie, oubliant ses 93 ans, retrouvant le pas alerte de ses jeunes années pour grimper trois fois de suite la volée d’escalier qui mène à l’étage. II ramène de splendides documents évoquant le Lustin d’avant 1.900. L’une des photos a été coloriée avec minutie; on dirait un Breughel.

Héliodore Tiange poursuit:
Je me suis promené ainsi pendant plusieurs années. En photographiant. On peut dire que j’ai passé ma jeunesse à me promener…

Photo prise par Héliodore Tiange de la rue covis durant l’hiver 1894.

Photo prise par Héliodore Tiange en 1912 de l’arrière d’une maison de la rue Covis.

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