Cette catastrophe reste étrangement présente dans la mémoire du village  tant elle ravagea dramatiquement et de plein fouet toute une partie du village le soir du 12 juin 1910. On parle d’ouragan, de trombes d’eau démentielles, d’inondations détruisant tout de la frontière française à Huy. La vallée mosane paya le prix fort : la vallée du Samson, celle du Bocq, Dave, Dinant, Crupet, Courrière.. autant de villages et de lieux qui furent touchés par le cataclysme. La chaleur étouffante qui avait duré toute la journée, avait alourdi et chargé l’air d’électricité, à tel point que soudain le fléau se déclencha avec une violence qu’on n’avait plus enregistrée de mémoire d’homme.

La colline des Acremonts ayant crevé les nuages, des torrents d’eau tombèrent en si grande quantité que les petits ruisseaux devinrent sous peu des torrents impétueux.

 Voici ce que l’on put lire dans la presse du 13 juin 1910 (deux jours après): 

“Le torrent qui dévalait à Tailfer, du versant des montagnes situées sur la rive droite de la Meuse, n’a pas trouvé une issue suffisante dans le passage existant sous la ligne du Nord au sortir de la station vers Dinant. Dans l’irrésistible poussée des eaux, les maçonneries ont cédé et la voie a été emportée sur une longueur d’environ trente mètres. Le flot boueux s’est englouti dans le tunnel qui est à moitié rempli d’eau, de vase et de pierres. (…) Le désastre est grand. Les eaux, descendants des hauteurs de Maillen, ont envahi la propriété de M. Eugène Gilbert, si artistiquement aménagée” (Le Patriote Illustré)

“La villa (…)est méconnaissable” (Le Patriote).

En un instant, le château était cerné par la crue, atteignant une hauteur d’un mètre, arrachant les clôtures, les serres et les troncs d’arbres.

Suivant la vallée, le torrent s’est aussi répandu dans les dépendances du château de la vicomtesse de Bourcet, ravageant les parterres et accumulant des monticules de pierres.

Un pensionnat de religieuses françaises est attenant à ce domaine. Là, le désastre est terrifiant; le courant a renversé le mur de clôture sur toute sa longueur; des bancs, des tables, tout un mobilier classique a été entraîné dans la Meuse” (Le Patriote Illustré) ou “emporté par l’ouragan”(La Dernière Heure).

La panique fut grande et vers 4h, des cris de détresse étaient poussés par les pensionnaires; aucun accident de personne n’est cependant à déplorer.

Sous une poussée formidable, l’élément dévastateur s’est frayé un chemin à travers la route, creusant une excavation de plus de 2 mètres de profondeur; s’engouffrant ensuite dans le viaduc, il en a arraché les murs et a détruit un remblai du chemin de fer qui a 6 mètres de haut”(Le Patriote Illustré).

Sur la ligne de Dinant à Tailfer, le passage souterrain s’est effondré sous l’affluence des eaux dévalant d’entre les montagnes. Terres, pierres, branches d’arbres se sont accumulées dans le tunnel creusé dans le roc et le remplissent à demi. Il faudra huit jours de travail pour le déblayer. Le service des trains se fait de Namur à Taifer et de Lustin à Dinant; entre Tailfer et Lustin, les voyageurs doivent faire la route à pied” (Le Patriote).

(…)”Concernant la voie en remblais, le gravier s’est affaissé, laissant les rails suspendus dans le vide. Plus loin c’est un formidable éboulement qui obstrue la voie” (La Dernière Heure).

Monsieur Grandville, Conseiller communal, sachant le train parti de Namur vers 7h18 et se rendant compte de la tragédie qui allait se passer, avec quelques voisins, bravant le torrent et la foudre, se porta, au péril de sa vie, au devant du train, et par ses cris et ses signaux, parvint à le faire stopper à moins de 100 mètres des dégâts.

(…) Les habitants de cette pittoresque contrée sont dans la désolation.” (Le Patriote Illustré). L’armée fut envoyée sur place pour aider aux réparations de la route et du chemin de fer.

 Voici ce que le précieux témoignage que Marthe Gilbert habitante du château de Tailfer, retrace en cette journée du 11 juin 1910 : 

« La journée s’était annoncée belle et chaude, le jardinier s’activait afin de terminer de planter les dernières fleurs.
Dés le début de l’après-midi, le temps s’assombrit, s’alourdit, vers quinze heures un premier orage s’annonça, proche et fort, les coups se succédaient rapides, -effrayants, et soudain, nous vîmes le jardinier accourir, voyant la foudre tomber sur la maison, il en tremblait. Mais ce n’était qu’un commencement. La pluie tombait avec force, battant les fenêtres, les orages se succédèrent jusqu’au soir, il y en eut cinq tous aussi violents. La pluie tombait toujours à torrent, l’eau du petit étang montait à vue d’œil, on y voyait des arbustes, des troncs d’arbres et tout cela ne pouvait entrer dans le petit tunnel qui passe sous la route. Avant de nous quitter le jardinier nous avait dit qu’il y avait environ tous les cent ans, ce qu’on appelait une “TROMBE D’EAU” venant des Fonds, et que cela semblait en être une !

Nous prenions nos repas au sous-sol, il y faisait si frais l’été. Dans cette pièce il y avait un vieux piano [qui y vivait ses dernières heures), le bureau et la bibliothèque de mon père les orages et la pluie continuaient, avec un peu d’inquiétude nous nous mettons à table vers 19H00. Nous ne quittions pas des yeux l’étang où l’eau continuait à monter dangereusement, très vite nous vîmes un énorme tronc d’arbre qui boucha l’entrée du petit tunnel, l’étang déborda… vite nous nous mîmes à monter tout ce que nous pûmes au rez-de-chaussée, alors que l’eau envahissait par la porte et les fenêtres, tout le sous-sol fut bientôt rempli; les meubles, tables, bureau, piano etc, montaient avec l’eau, celle-ci s’arrêta à + 25 cm du plafond.

Nous attendions notre frère, la route de la gare était sous eau. Notre chauffeur Joseph CLOBERT accepta de s’y engager, dans ce pénible voyage il put constater l’ampleur des dégâts: la grille d’entrée les battants sont repoussés à l’extérieur, à sa gauche un immense lac, chez les pauvres Sœurs de SAINT THOMAS, une mer partout qui envahit tous les bâtiments, jusqu’au premier étage, le remblai du chemin de fer fait barrage avant de céder. Elles avaient réuni leurs + 50 élèves au deuxième étage dans le bâtiment de droite (les dortoirs), il y avait là une petite porte donnant sur le bois, pour finir toutes pensionnaires partirent par-là.

En cédant le remblai du chemin de fer emporta un petit tunnel donnant accès au rivage de la Meuse; les rails étaient à nu dans le vide!. A Taifer faisait office de chef de gare Mme DEGIVES armée d’une lanterne et d’un drapeau blanc, elle fit un bon bout de chemin vers Dave afin d’avertir le conducteur de s’arrêter.

Le lendemain l’eau se retira lentement et on put constater une large fissure à la base de la petite tour, aux étages des pierres sont tombées et on voit une fissure entre la tour et le bâtiment. Le long du chemin, de la grille à la maison, le ruisseau a creusé un nouveau lit de près, de deux mètres de profondeur.

Dans le fond du jardin se trouvait un deuxième étang,(où un jour je pris une belle truite). En une nuit il fut entièrement rempli de boue, de pierres, de terre, etc., on n’eut qu’a y semer de l’herbe et la pelouse remplaça l’étang.

Le lendemain du sinistre, notre hameau fut envahi par une foule de curieux ».

Sœur Marthe Gilbert, 11 juin 1910.

Laisser un commentaire