La famille Gilbert fut propriétaire de la villa Clairfontaine (Château de Tailfer) et de la villa des Condamines. Parler de la famille Gilbert c’est raconter les épisodes les plus marquants de l’histoire de Tailfer : les villas, la catastrophe de 1910, la guerre 40-45 et l’installation d’une certaine bourgeoisie dans ce lieu de plaisance. Jean Gilbert, habitant toujours Lustin, nous raconte cette saga.

Le château de Tailfer

« Tout commença avec mon arrière-grand père, Léonard Gilbert, militaire en France et père de 6 enfants. Il épouse une namuroise de la famille de Cauwer et quitte l’armée pour pouvoir habiter Givet pas très loin de la frontière belge. Il entre alors dans une manufacture de plumes d’oie. Celle-ci doit se reconvertir face à l’arrivé de la plume métallique et Léonard Gilbert décide de se lancer dans la production de crayons. En 1829 fut créé le premier crayon Gilbert. Un de ses fils, Louis-Philippe Gilbert (1832-1892), se rend à Louvain pour fonder l’école des ingénieurs. Mathématicien, professeur d’analyse et de mécanique analytique, il fut l’inventeur du batogyroscope, destiné à montrer la rotation de la terre par rapport aux étoiles fixes. Cet outil est d’ailleurs toujours utilisé dans l’aviation puisque c’est cette petite boussole que l’on remarque dans le cockpit des avions.

Eugène Gilbert (1864-1919), son fils, né à Louvain, devient, quant à lui, un critique littéraire réputé. Ce docteur en droit est directeur de La Revue générale et encourage alors les écrivains belges à travers ses publications et ses essais comme : Le roman en France pendant le XIXème siècle (1896), Les lettres françaises dans la Belgique d’aujourd’hui (1906), France et Belgique (1905-1914). Son frère Paul Gilbert a repris les affaires de l’usine de crayons à Givet.

Le célèbre crayon Gilbert.

Deux frères victimes de l’administration. Ils possèdent tous les deux les deux nationalités (belge et française) et sont tous les deux considérés comme déserteurs par leur pays respectif. Ils ne peuvent donc pas se voir ni en Belgique, ni en France et se revoient dans des régions neutres comme l’ Alsace ou les Pays-Bas. Une situation tristement ridicule pour les deux frères qui prendra fin en 1904. Eugène Gilbert décide alors de chercher une résidence pour se rapprocher de son frère en s’installant à Lustin qui ne se trouve plus très loin de Givet. Il achète les villas Clairfontaine et Les Condamines. Eugène Gilbert fut anobli par le roi le 15/08/1906 et devint Eugène Gilbert de Cauwer.

 La guerre de 1914-18 va rapprocher définitivement la famille Gilbert de Tailfer. Leur maison à Louvain est incendiée par les Allemands et se voient alors dans l’obligation de s’installer dans leur résidence d’été à Lustin. Les villas sont achetées en 1908 et ils s’installent en 1910 après les travaux d’agrandissement nécessaires. 1910. Une date noire dans la mémoire de Tailfer. C’est en juin de cette année que la vallée connut une catastrophe sans précédent. Le Tailfer est en furie et inonde tout sur son passage. Comme première année en tant que résidants on aurait pu rêver mieux.

Après la guerre, l’oncle Paul demande à son neveu, mon père Philippe Gilbert, fils d’Eugène Gilbert, de reprendre la société de crayons avant de revenir à Lustin définitivement.

La villa des condamines.

Nous entrons alors dans la deuxième guerre mondiale. Lustin est occupé. Philippe Gilbert devient bourgmestre intérimaire par la volonté des Allemands qui souhaitaient un intermédiaire plus jeune que Monsieur Falmagne. Le rôle de mon père ne se limita cependant pas à cette fonction ingrate. En effet, il prit une grande part dans le sauvetage de nombreux juifs. Un épisode méconnu qui mérite réparation.

Un abbé de Namur contacta M. Gilbert pour trouver une solution au sort des juifs poursuivis par les Allemands. Celui-ci décida alors de créer des fausses cartes d’identité changeant ainsi le statut de nombreux juifs qui devinrent lustinois aux adresses virtuelles. Une Sara Koenisberg devint une Rosa de Winter et la famille Gilbert elle-même s’agrandit en hébergeant un jeune juif.

Lors de descentes de militaires allemands et des fouilles entreprises dans les maisons du village, la famille Gilbert se précipitait pour cacher les familles juives dans des caches aménagées dans la villa Clairfontaine ».

« Une parfaite solidarité entre les habitants et ma famille mérite d’être soulignée et racontée car il n’y eut jamais dénonciation » tient à souligner humblement Jean Gilbert.

« Mon père aida de nombreux juifs mais aida aussi de nombreux jeunes du village. Les Allemands, exigeant le registre de population, celui-ci simula un vol et cacha le registre dans l’autel de la chapelle des Condamines. »

Nous remercions Jean Gilbert de nous avoir ouvert ses archives émouvantes et précieuses pour l’histoire de ce charmant hameau.

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