Les mariniers et les chemins de halage.

Petit à petit les moyens de transports deviennent nécessaires et importants dans une vallée difficile d’accès. Ainsi, jusqu’à l’indépendance de la Belgique, la Meuse n’est utilisée que pour les bateaux de petit tonnage à fond plat appelés les Mousis qui utilisaient la technique du halage et devaient passer par des péages. Le halage c’est la traction du bateau par des hommes ou des bêtes. Il est alors le moyen le plus employé pour remonter les rivières et nécessite un chemin continu et dégagé tout le long du rivage.

Cette technique perdura longtemps en bord de Meuse. Toujours au 19ème siècle, voire début du 20ème, il n’était pas rare de voir ces petites embarcations tirées par un cheval sur le chemin du halage.

Une péniche tirée par deux chevaux.

Un barque publique, dirigée par un “tchfôli” effectuait chaque jour le trajet entre Namur et Dinant et retour le lendemain. Un câble de halage est fixé en hauteur à un mât spécial implanté sur le tiers avant de l’embarcation, mât très fortement haubané pour résister aux efforts, et qui peut se coucher pour passer sous les ponts. Le câble doit être très long pour ne pas tirer le bateau vers la berge ou entraîner les chevaux dans l’eau.

Les chevaux de halage travaillent au pas. Les câbles exercent une traction oblique sur leurs épaules et leurs jambes, ce qui ruine leur santé en deux ou trois ans. En se déplaçant sur le fond irrégulier des rivières, ils sont amenés aussi à marcher sur des pierres anguleuses faute de les voir, et le fond est parfois assez instable pour que certains s’y noient. Le choix se porte sur des chevaux lourds au tempérament calme.

On leur évite les accidents les plus graves en prévoyant un large couteau fixé au collier et qui permet au conducteur de trancher rapidement les cordes dans le cas où le bateau risquerait d’entraîner les chevaux à la rivière.

Evidemment ce travail était très dur physiquement pour ces chevaux et donc il était impossible de faire une route aussi longue que Namur-Dinant sans reposer ceux-ci. Dès lors il existait des relais de chevaux tout le long de cette route. Il en existait un à Lustin. C’est l’actuel Musée des bières belges, en face de la gare, vieux de deux siècles et transformé par la suite en auberge quand le chemin de fer remplaça cette technique du halage.

En effet, dans la seconde moitié du XIXème siècle, l’amélioration des routes, la concurrence déloyale du chemin de fer qui casse les prix, et l’apparition des bateaux à vapeur va faire disparaître la batellerie avec traction animale.

Le travail des mariniers était très dur comme nous décrivent Ferdinand Simon et Albert Wayens:

Mais il y a la Meuse. Grâce à elle (…) Chez les forgerons et les aubergistes, on entend parler les patois de l’Escaut et des Pays-Bas; on s’explique en wallon ou en français avec l’accent de Liège, de Maestricht, de Thuin ou de Verdun… Dans les auberges comme dans les forges retentissent des jurons sonores poussés par des hommes rudes, hardis, courageux surtout et d’un cœur admirable dans l’entraide, habitués à mener leurs embarcations à la cravache par tous les temps. Ce ne sont ni des enfants de chœur ni des buveurs d’eau. Quand on doit sauter dans le courant là où le chemin de halage fait défaut, on ne peut pas être ivrogne, loin de là, mais on désire, à l’étape, boire autre chose que de la flotte. Les batelières, celles qui tiennent le coup, valent bien leurs hommes, elles ne se contentent pas de café flottard. Il y a parmi elles des mères admirables, mais, quand elles ont levé le coude, toutes sont pleines de mépris pour ces équipes uniquement masculines, que l’on va voir bientôt, dit-on conduire des locomotives un peu partout. Le monde dégénère…

Gaillards et gaillardes, chevaux et mulets (les plus sobres) doivent faire face aux crues, aux gelées et aux débâcles; il faut éviter les roches en saillie comme les hauts-fonds, les barrages dressés par les maîtres de forges comme les déchets déversés par les entreprises riveraines, les courants vicieux comme les barbotières où l’on s’engrave (où l’on va à sec, disent les mariniers de Meuse et de Sambre)… Depuis des siècles, il en est ainsi. Les obstacles sont toujours pareils. Seuls ont diminué le nombre des péages et celui des brigands rançonneurs.(…) (Ferdinand Simon et Albert Wayens, “Notes Waulsortoises”, Editions du Pairy Waulsort 1981, Tome 3, p.95 à 117).

Voici un texte deTh. Gauthier, Extrait de E. de Montagnac “Les Ardennes illustrées”Hachette Paris 1868 Tome l p. 117 et 132

Nous devons avouer que La Beauté ne marchait ni à la vapeur ni à la voile, et même qu’il y manquait une chiourme de nègres vêtus de chemises en gaze blanche rayée, faisant en cadence ouvrir de chaque côté de la barque un large éventail de rames. On avait eu recours à un moyen de traction des plus primitifs; au haut du mât partait une corde qui aboutissait à un cheval d’humeur pacifique et prenant dans les grandes occasions un petit trot retombant bien vite à l’allure du pas. Vu de loin au bout de son fil, ce cheval ressemblait à un scarabée auquel des gamins font tramer une galiote en papier.

Mais ce scarabée, rampant le long du chemin de halage et courbant sous le passage de la corde les jonc, les oseraies et les fleurs de la rive, qui se relevaient ensuite avec une joli mouvement de pudeur froissée, suffisait à faire glisser sur l’eau limpide de la Meuse le lourd chaland taillé comme une orgue hollandaise On n’allait pas vite – oh non – mais cette sage lenteur nous convenait; elle nous donnait le loisir d’admirer en détail le superbe paysage que présentait à droite et à gauche les deux rives du fleuve; puis en ce siècle hâtif, à la respiration entrecoupée et haletante, qui s’essouffle pour arriver quelques minutes d’avance au but, il est agréable de prodiguer cette monnaie du temps, si précieuse aujourd’hui, et d’employer trois jours à ce qui pourrait se faire en trois heures. (…) Quand un site nous plaisait, on faisait halte. Le cheval se mettait à brouter l’herbe; le photographe se coiffait de son voile noir et braquait sur la paysage le canon de son objectif. (…)

Plus loin se dresse le rocher de Frêne, un bloc vraiment titanique, qui recèle en ses flancs une caverne de forme ogivale ressemblant assez à une église, où une tradition locale veut que les chrétiens des premiers temps aient célébré leur culte. Tout ce passage du fleuve est assez tumultueux, plein de rapides, de barres et de remous, et ce n’est plus l’aspect de la Meuse française coulant limpide et sombre entre ses deux rideaux de hautes collines boisées. (…)

En quelques heures, nous arrivâmes à Namur, au trot allongé et soutenu des deux bons chevaux qui nous traînaient.

Après 1847, sous l’impulsion de Cockerill lui-même, un service de vapeurs à aubes fonctionne sur le Meuse. Mais il faut attendre 1863 et la mise en service d’une ligne de chemin de fer Namur-Givet pour modifier quelque peu le paysage du fleuve. En effet, pour équilibrer au mieux la concurrence entre les deux moyens de transports on construisit des barrages-écluses de 1868 à 1872.

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