Voici le récit du sciage en 1957 des fameux blocs de marbre de Tailfer.
Source: Le patriote illustré.

La Belgique compte de nombreuses carrières de marbre.  De l’une d’elles, exploitée à Tailfer, on vient d’extraire un cube de marbre « monolithe » qui est sans doute le plus gros jamais extrait en Belgique, si pas en Europe.

Les carrières de Tailfer n’extraient pas du marbre pris en profondeur, sous le niveau du sol comme c’est le cas pour presque toutes les autres.  Les « bancs » de pierre se trouvent ici au niveau du sol et s’élèvent, en oblique, jusqu’à près d’une centaine de mètres de hauteur, donnant au paysage un  aspect très particulier.  Le travail aussi est tout différent.  Alors que dans certaines exploitations les blocs sont détachés au moyen de la poudre et de la dynamite pour être ensuite sciés à dimensions, les blocs sont sciés directement dans le « banc » dominant le chantier, d’où ils descendent en glissant.

Comme la main-d’œuvre est sensiblement la même pour scier un gros bloc qu’un petit, ce sont les frais d’installation du matériel de sciage qui coûtent. La direction décida d’entreprendre le sciage d’un bloc de 16 mètres sur 12m5O , sa hauteur étant celle de l’épaisseur du « banc», soit 8 mètres.  Cela faisait un volume de 1.600 mètres cubes, d’un poids total de 4.400.000 Kg.  Tentative audacieuse, dont le résultat n’était pas assuré.

Les « bancs » sont superposés en couches de pierres de nature souvent différentes.  Ces bancs sont séparés par une couche d’argile ou de schiste.  Si l’argile est assez glissante, le schiste des presque toujours rugueux.  Il fallait donc savoir, avant tout, de quelle nature était le lit du banc. Des forages furent donc entrepris, qui révélèrent que le banc reposait sur une mince couche d’argile.

On commença par placer un réservoir d’eau à une trentaine de mètres de hauteur, cette eau, mélangée à du sable, devant couler sur le fil de sciage.  A ce sujet, il faut noter que le sciage d’un mètre carré de pierre exige 90 à 100 Kg de sable.

Le réservoir d’eau (2006).

On perça ensuite, au moyen de la machine à fleuret, deux puits de 1m25 de diamètre, distants l’un de l’autre de onze mètres.  Ces puits étaient placés aux deux angles supérieurs du bloc à scier.  On monta ensuite deux colonnes de sciage , une dans le puits gauche du haut, l’autre en bas, à gauche, contre la paroi verticale.  On adapta le fil, qui est fait de trois torons d’acier tordus, et qui a 6 mm de diamètre.  Sa longueur est de 950 mètres.   Cette longueur est nécessaire pour refroidir le fil surchauffé par le frottement contre la pierre.  De très nombreuses poulies se renvoient le câble, qui fait ainsi le tour de l’exploitation, sa tension étant maintenue par un système à vis qui déplace certaines poulies.  Quatre fils de cette longueur seront nécessaires pour mener à bien le sciage de ce bloc peu ordinaire.

Vestige d’une poulie (2006).

Le moteur électrique mis en action, le fil commença sa ronde et un premier trait de scie fut tiré sur une longueur de seize mètres et une profondeur de huit mètres.  On déplaça ensuite les deux colonnes de sciage vers la gauche,  celle du haut de 70 cm dans son puits, celle du bas de 1m80 et l’on tira un nouveau trait de scie.  Le résultat fut qu’un bloc, ayant la forme d’un trapèze de 70 cm à sa partie supérieure, 1m80 à sa partie inférieure, et 16 mètres de long se détacha et glissa vers le bas.  Une « desserte » était faite.  Celle-ci est indispensable, car elle permettra le glissement du bloc sans qu’il ne se coince entre les parois latérales.

On déplaça ensuite les 2 colonnes de sciage vers la droite ; l’une fut placée dans le puits droit du haut, l’autre en bas.  On tira un nouveau trait de scie.  Les parois latérales étaient ainsi créées.  On monta alors la colonne qui se trouvait en bas à droite et on la plaça dans le puits gauche du haut.  On commença enfin à scier transversalement, mais avec prudence.  L’opération était arrivée à son moment critique.

Le fil descendait progressivement, lorsque, parvenu à 7 mètres de profondeur, soit un mètre avant d’atteindre la couche d’argile formant le lit du banc, la rupture se produisit.  Le bloc se détacha brusquement, glissa et tomba sur un lit de moellons de 2 mètres d’épaisseur, qu’il écrasa ou projeta en tous sens.

L’emplacement des blocs de marbre en 2006.

L’opération avait réussi, mais des mois de travail intense avaient été nécessaires, ainsi que 75.000 Kg de sable et près de quatre kilomètres de fil d’acier.  Il ne restait plus qu’à débiter le bloc en tranches verticales de trois mètres d’épaisseur.  Ces tranches, ensuite rabattues, seront à leur tour sciées en blocs commerciaux de 4 m x 1,50 x 1,50. 

L’équipe des ouviers.

Signature de Giovani Carmassi (1957),qui travaillait dans les carrières de Carrare en Italie et qui est a l’origine de la méthode de sciage des blocs de marbre de Tailfer.

Laisser un commentaire