Récit de Daniel Wiame, ancien habitant de Lustin.

Misère noire, un instant de luxe et vue sur la richesse / mes premiers contacts avec eux !…..

Remarques complémentaires générales sur l’avant et la suite du récit :

Dès mon entrée en première année des primaires, je me trouvais très ami avec un autre garçon du village, André Sohy – dont l’histoire également dramatique a déjà fait l’objet d’un écrit assez détaillé. Pendant de longues années, jusqu’à son décès en 2015, nous entretiendrons des liens profonds, chaleureux et remplis de souvenirs tenant à toutes les péripéties et aléas de la vie qui ne fut pas un long fleuve tranquille. Pour nous deux, elles seront mêmes particulièrement ‘’ prenantes ‘’ et souvent prises par les autres, comme de l’instabilité émotionnelle portée au burlesque des multiples situations.

De plus, le midi, tenant compte de l’éloignement de notre logement, l’école, sous la haute direction du maître Rousseau, avait appointé une dame fort âgée, Madame Jeanne, qui nous tenait – une bonne douzaine de garçons – dans ce que l’on appelait familièrement ‘’ la soupe’’ ! Le réfectoire improvisé se tenait dans une classe vide et disponible. Ce ‘’ potage bien costaud pour des affamés ‘’ qu’elle préparait avec beaucoup d’attention – même avec beaucoup d’amour – nous était servi ‘’ à table ‘’ dans de grands bols mis à notre disposition.

Nous mangions alors nos ‘’ tartines ‘’ emmenées de nos maisons, le matin ! Il faut bien dire que ces tartines étaient souvent fort pauvres en remplissage car beaucoup de parents n’avaient pas les moyens, et ne mettaient en garniture, que du beurre étendu avec grande parcimonie ! Les ‘’ plafonneurs ‘’ – comme l’on appelait les prodigues – étaient exclus du façonnage !

Cette fort gentille dame, veillait ‘’ tendrement ‘’ sur ces garnements qui ne manquaient aucune occasion de se mettre en batailles rangées ! Des camps se formaient ! Des coups de toutes sortes pleuvaient sur les jeunes échines, des vêtements se déchiraient ! Des pleurs, des cris, des hurlements ! Jeanne tentait avec sa grande douceur de faire stopper les pugilats, de ramener le calme et la paix ! Peines perdues, trop souvent, à bout de résistance, il fallait en désespoir de cause et de nerfs à vifs, appeler le Maître Rousseau.

Ce dernier, fort énervé de devoir quitter son heure et demie de quiétude auprès de sa famille, résidente d’une maison de village, juste en face de l’église, à deux cents mètres de l’école, accourait à pas cadencés et très martiaux (il était d’imposante stature) vers les lieux de combats ! Des guetteurs avisés, placés en embuscades, signalaient rapidement son approche ! Pourtant, déjà montant à grands pas la douzaine de marches de l’escalier prenant assise au niveau de la rue, il arrivait promptement au milieu des ‘’ déjà anciens combattants ‘’ ! Tous impeccablement et bien sagement alignés en bonne place ! Garde à vous impeccable !

Forcée et contrainte – à contre cœur du reste – Jeanne était priée de nommer les meneurs ! Sa grande sensibilité d’âme généreuse lui faisait désigner les deux ou trois ‘’ plus résistants à la douleur ‘’ afin de limiter bien grandement les effets des sévices qui allaient s’abattre implacables, sans cœur, et sans aucune sensibilité ! Les baffes, les coups de latte, les pincements très douloureux dans le creux sensible des bras mis à nus pour faciliter l’accès du tortionnaire à ses buts, ces agenouillements forcés et de longues durées sur des règles déposées sur le sol à quelques dizaines de centimètres du tableau de classe ! Pas question d’oser un seul instant de se reposer les fesses et le corps sur les talons pour se soulager de la douleur ressentie ! Les coups de latte redoubleraient rapidement !

A l’occasion de son anniversaire, la maître Rousseau organisait une petite fête dans la classe. Les bancs rassemblés et couverts d’une nappe, se garnissaient ainsi de toutes sortes de biscuits, de gâteaux ; toutes friandises – hors de notre portée financière – parmi les meilleures alors produites. De plus, nous avions exceptionnellement droit à un tout petit verre de muscat dont la teneur en alcool était du plus faible possible ! Alors, au milieu de ces plaisantes agapes, le désigné par la classe, tout en faisant l’éloge du maître – en quelques mots préparés de longue date – lui remettait ce précieux cadeau, acheté en cachette par l’un ou l’autre des parents et sur la base des dons spontanés faits par les élèves.

Malgré tout, tous étaient infiniment reconnaissants pour la qualité de l’enseignement donné, par la grande disponibilité et la capacité que le maître avait pour nous bien instruire et surtout, pour nous intéresser à l’étude personnelle de toutes bonnes matières et connaissances.

Chez lui, c’était un don inné et fort exceptionnel !

Remarques :

*Siméon Rousseau, alors la quarantaine était d’origine de Marche-les Dames, excellent élève à l’école normale, il avait été désigné pour un poste à l’école communale pour garçons de Lustin. Tenant compte du nombre restreint d’élèves disponibles, de mon temps, il donnait cours aux trois dernières primaires réunies dans le même local. Marié, une fille de notre âge, Agnès – fort jolie fille et fort ‘’ convoitée ‘’ par les ‘’gamins ‘’ –

il vivait avec ses beaux-parents qui exploitaient – juste en face de l’église – une petite épicerie de village qui nous fournissait ainsi en plantureux approvisionnements de précieuses denrées sucrées dont les prix étaient dits ‘’ ceux d’amis ‘’ !

*Au cimetière de Lustin, en entrant, directement à droite, le long du mur de clôture, se trouve sa tombe couplée avec certains membres de sa famille déjà décédés.

Sur la dalle funéraire, un livre ouvert taillé dans du marbre blanc et placé en léger oblique.

Page de gauche, son portait, une photo vitrifiée de forme ovale ; sur la page de droite, une seule phrase : <<A notre regretté Meur Siméon Rousseau instituteur de la part de ses élèves de 1940 à 1971. >>

Pourtant, il nous arrivait régulièrement – alors que nous étions hors des classes- de profiter un instant de l’inattention de nos surveillants pour oser pousser un regard au-dessus du haut mur de pierres qui nous séparait bien malheureusement de la vue des filles dont certaines étaient déjà dans les formes bien avancées d’une puberté villageoise naturellement précoce !

Pour cette opération qui ne favoriserait qu’un seul voyeur, il faudrait en embrigader 3.

Les deux premiers se tenant par l’épaule, faisait monter le troisième en haut de leurs bras tendus au plus haut ! De cette ‘’ grande hauteur ‘’, il était possible de dépasser le haut du mur de séparation des ‘’ sexes ‘’ ! Quelques secondes de cette ‘’ divine vision ‘’ suffisaient à émouvoir pleinement le cœur et les sens déjà en premiers éveils de ce privilégié !

Si l’occasion se présentait, il y avait un tour de rôle ! Mais, les surveillants surveillaient et gare à la découverte de cette puissante entorse à la morale pudibonde de l’époque !

Coups, retenues, gifles, dans le coin pour plusieurs heures, une craie dans les doigts, un point précis au tableau fixé de fait sur la position ‘’ sur la pointe des pieds ‘’ qui obligeait à une longue tension du corps ! Gare ! au laisser aller ! Le temps de peine serait rallongé !

Tout cela devant la classe attentive, craintive, silencieuse ! De fait, terrorisée !

Mais, qui aurait osé se plaindre – même juste un tout petit peu – auprès de ses parents sans encourir immédiatement les foudres parentaux et d’autres sévices fort pénibles à supporter !

Remarques :

Pourtant, il nous arrivait d’être ‘’invités officiellement‘’ à nous rendre dans la zone des filles.

Une fois par an, pour la très attendue photo de classe et, une ou deux fois pour assister béatement incrédules, aux tours de magie du magicien ‘’ William Truc’’ !

Le tour le plus spectaculaire à nos yeux, était la brisure d’un verre sous la puissance de la voix de sa ‘’ belle et fraiche ‘’ assistante dont le subtil porté de voix, ouvrait notre intérêt pour le tout beau féminin !

Le maître était pleinement protégé ! Immunité totale ! Confiance totale des parents dans ses méthodes reconnues très efficaces et certaines dans l’éducation de ces ‘’jeunes si mal dégrossis ‘’ en manque de solide éducation et de savoir-vivre de bonne qualité !

Notre “confirmation” après la Communion Solennelle du 27 mai 1956 !

Vint ainsi le temps dévolu pour notre confirmation, le 3 juin 1957 ! Tous ceux et celles – 17 garçons et 22 filles – qui avaient fait ‘’ Communion Solennelle ‘’ furent ainsi rassemblés dans l’église du village pour être inscrits à quelques cours spéciaux donnés par le curé de la paroisse, l’abbé Joseph Laventurier, pour nous initier pleinement aux éléments précis touchant à ce bien attendu sacrement – avec les langues de feu des écritures saintes – qui allait déterminer de notre appartenance certaine.

Allions-nous encore recevoir des cadeaux comme lors de la communion solennelle ?

Le ‘’ parrain spirituel ‘’ du groupe des garçons désigné, Monsieur Maurice Hubot – famille notable du village – nous était présenté. Homme gentil et de grande intégrité morale connue, se fit ainsi notre guide.

Pour le groupe des filles, Madame Marie Rossion.

Tant les enseignements du curé et les attentions de Monsieur Hubot et de Madame Rossion, nous préparèrent à recevoir ce sacrement dont les effets ne nous paraissaient pas clairement utiles et certains.

Un matin, rassemblés sur la place de l’église, et embarqués en car, nous partîmes vers Jambes et son église paroissiale. Devant Monseigneur Charue, Evèque de Namur, un mouvement rapide de la longue file, à genoux devant l’homme de Dieu, une bougie, un toucher huileux, et une parole sainte prononcée ! Nous étions pleinement confirmés !

Dieu était avec nous ! Dieu nous faisait savoir tout Son Amour.

Au retour, chez Monsieur Hubot, une agréable collation à partager, et la remise d’une ‘’ assiette souvenirs de ce Saint Evènement’’.

Ainsi, Dieu serait avec nous toute notre vie ! Nous lui avions aussi promis fidélité et reconnaissance dans l’expression constante de notre engagement dans la foi Catholique !

Pourtant, au travers de nombreuses lectures, et visions des choses vécues, ma jeune candeur dans la perception des choses de Dieu, et de ses représentants officiels, se désagrégeait, fondait, se muait en doutes sérieux ! De plus en plus souvent, je ‘’ brossais ‘’ la messe dominicale bien que mes parents fissent en sorte que tout endimanché, je quitte la maison pour m’y rendre de la façon la plus certaine après une marche de plus de 40 minutes, utilisant la rue Goffioul, par tous les temps et par toutes les saisons !

Pour ‘’ faire passer le temps ‘’, je restais ainsi souvent à me cacher dans les carrières placées bien à point sur le chemin. Les infrastructures de béton et métalliques fournissant d’excellents abris pour échapper à la pluie, la neige et le froid pendant une heure !

Quarante minutes après la fin de l’office, je réapparaissais dans la maison en évitant par tous les moyens toutes explications, et tous commentaires sur la messe dite ce jour-là !

Il arriva pourtant que le curé du village, rencontrant mes parents – au hasard d’un déplacement- leur faisait part de son inquiétude à ne plus me voir présent aux messes !

N’y allant pas eux-mêmes, ils finirent par comprendre mon désintérêt dans la religion qui m’avait pourtant été enseignée avec beaucoup de chaleureuses attentions !

Revenant à ‘’ la soupe ‘’ du midi, je pouvais régulièrement m’en échapper en me rendant dans la ‘’ vieille masure ‘’ occupée par le semblant de famille de mon ami André !

Là aussi, à table, nous pouvions ensemble manger nos tartines, ‘’ en bonne compagnie ‘’ d’un bol de breuvage- souvent de la chicorée – préparé par son beau-père René.

D’autres fois, invité à me joindre également pendant le temps de midi à la famille Mardegan, cinq enfants, famille italienne arrivée en Belgique après la guerre et dont le père était employé comme ouvrier carrier dans une des grandes carrières de Lustin.

Nous y trempions alors nos tartines dans du jaune d’œuf mélangé avec du sucre ; cette excellente mixture vitaminée garnissait alors le fond de grands bols de faïence blanche !

Les trois garçons de la famille et moi, à table, étions ‘’ servis ‘’ par les deux sœurs.

Nous y étions servis avec grande attention et déférence ; comme des mâles en privilèges absolus ! Il faut dire que ces deux demoiselles avaient belles figures avec leurs longs cheveux à la couleur d’encre profonde, et déjà avec tant d’élégance dans le moindre geste fait !

Pourtant, ce ‘’ plaisir ‘’ était assez rapidement rompu ! Les parents Mardegan me faisant comprendre que – même le don d’un œuf – chaque jour à un ‘’ étranger ‘’, était une dépense insupportable pour le maigre budget dont ils disposaient.

Il faut dire que les quelques poules fort maigrichonnes qui caquetaient dans un petit enclos attenant à leur maison, ne pondaient qu’assez rarement ! A part de l’herbe fournie par les enfants, les autres apports alimentaires étaient ‘’ à ne pouvoir bien nourrir les gallinacés ’’ !

Je retournais ainsi ‘’ à la soupe ‘’ y retrouvant tout le reste de la ‘’ bande des infernaux ‘’.

Dans ce même temps, ma sœur Chantal et moi étions devenus des maraudeurs de haut vol et de subtilités ! Il fallait remplir de bonne façon nos estomacs alors fort demandeurs !

Les lignes de fraisiers avaient notre préférence ! Dès le murissement de ces fruits devenus bien rouges et bien juteux, nous en faisions grandes mangeailles sans nous faire voir du propriétaire qui s’étonnait souvent de ces maigres récoltes ! Alors que, partout dans le village, il y en avait grande abondance !

Le temps des cerises, le temps des prunes, le temps de pommes, le temps des nèfles, etc… Tout était bon pour compléter nos repas fort frugaux que notre mère bien aimée nous préparait avec le peu de moyens dont elle disposait.

Dans les creux du ruisseau d’eau très claire qui coulait dans le fond de la vallée, Chantal était devenue une ‘’ attrape truites ‘’ fort habile, et ainsi en faisait bonne pêche à ‘’ mains nues ‘’ !

A quelques dizaines de mètres de notre ‘’ entrée carrossable ‘’ à droite, en remontant la rue des fonds, la famille Fontinoy nous avait laissé à cultiver, quelques 30 m² de mauvaise terre argileuse infestée de cailloux. A grande force de la travailler de toutes les façons, cette petite parcelle de terre était devenue ‘’ moyennement féconde ‘’ !

Seul jardinier dans la famille – à Waterloo, j’avais beaucoup aidé le grand-père Paul qui m’avait bien précisément inculqué ce bon goût du ‘’ producteur de légumes ‘’- je cultivais et produisais ainsi une belle diversité de légumes et de pommes de terre …. Et, certainement, la totalité des variétés de choux ‘’ aliments autant prisés par les uns et honnis définitivement par les autres’’ !

Et ainsi nous passions positivement (pour nous) notre précieuse jeunesse !

Que seraient nos futures années ?

Notre mère nous préparait ainsi chaque jour un menu dont le principal attrait était souvent constitué de choux ! Choux verts, choux blancs, choux de Bruxelles, choux raves, choux rouges, etc…

De fait, bien trop souvent du chou ! Parfois des navets, des poireaux, des carottes, des épinards, et parfois, des pâtes de toutes formes, etc…

Pour ce qui était de la viande, distribuée avec très grande parcimonie, elle avait la particularité d’être proposée de diverses façons ! Surtout des boulettes, du foie, de mauvaises côtes de porc, du boudin, de la saucisse, du lard, certains abats ! Toujours ce qui était le moins cher !

De temps en temps, nous achetions aussi de la graisse de bœuf pour la friture et du saindoux dont mon père plafonnait ses tartines en agrémentant la surface obtenue de poivre et de sel.

Ces deux produits présentés dans des espèces de cônes tronqués en papier fixé à la paraffine

étaient souvent alignés sur le dessus du comptoir en verre.

Remarques :

Alors que nous étions tous les trois à toujours gambader par ‘’monts et vaux’’, pour nous appeler à rejoindre la table et les aliments chauds, mon père avait ‘’chiné’’ une ‘’ trompe d’alerte ‘’ utilisée par les cheminots pour avertir les ouvriers de quitter les voies pour laisser passer les trains sans danger !

Du coin de la terrasse – côté rue -, un coup de souffle fait puissant et le bruit rauque ainsi produit, remplissait toutes les vallées des Fonds de Lustin !

Course à fond ! A table tous ! On mange ! ……. Mais encore du chou ! Toujours du chou !

Remarques :

Tant chez le boucher que chez le boulanger – tous deux établis sur la place du village – nous avions ‘’ comptes ouverts ‘’ qui se soldaient chaque quinzaine au moment de la ‘’ Sainte Touche ‘’ de mon père.

Chaque matin avant l’école, nous passions déposer commandes que nous enlevions après la fin des cours. Le vendredi, nous avions pleines commandes pour couvrir tout le week-end !

Chaque moment libre, chaque minute de l’heure, nous étions tous au travail sur la poursuite des travaux sur la maison ‘’ en construction ‘’.

Les travaux avançaient bien ! Au premier, tous les carrelages étaient posés, portes et fenêtres étaient en place, le plafonnage des murs et plafonds était terminé

Pourtant, il n’y avait qu’un seul robinet d’eau froide (il n’y aura jamais d’eau chaude hors bouilloires) et les circuits électriques se résumaient en fils pendant de tous côtés.

Pas de salle de bains équipée ; juste une pièce vide ! Pas de cuisine ‘’ équipée ‘’ !

Dans le sous-toit, rien n’était fait ! Pas de plancher, pas de porte, pas la moindre isolation de la toiture (on touchait du doigt la couverture en ardoises Eternit ) ……..

Remarques :

Pendant au moins deux années, il me fallut dormir dans cet endroit ! Certaines planches récupérées sur un chantier, me permirent de confectionner à ma façon, une petite partie de plancher.

J’avais ainsi, en calfeutrant bien bonnement une petite zone du grenier, construit un semblant de chambre personnelle équipée d’un seul petit lit !

En été, on y cuisait totalement ! En plein hiver, les bouillottes d’eau chaude mais, refroidies dans la nuit, repoussées au fond du lit, gelaient aux premières heures du matin alors bien lent à venir !

Il faut ici rappeler que les matelas étaient faits de kapok et que les couvertures militaires – mêmes fort nombreuses et lourdes – ne tenaient pas au chaud ! Pourtant, il me fallait entrer ‘’ très habillé d’épais pyjamas et avec de grosses chaussettes de laine aux pieds montant à hauteur des genoux ‘’

Les matins de grand gel, toutes les vitres (en simple vitrage) étaient couvertes de gelée dessinant de merveilleuses arabesques prenant souvent la forme de fort belles fougères.

C’est du reste là qu’un matin de printemps, je fus réveillé bien brusquement, le corps secoué de spasmes inconnus ! Je me retrouvais ainsi l’entre-jambes fort maculé d’une substance chaude et gluante inconnue qui allait ainsi fort rapidement imprégner une large zone de mes vêtements de nuit !

Que m’arrive-t-il ? Que faire ? Que dire ? A qui dire ? Je suis dans la solitude de ma chambre avec des parents qui ne parlent jamais de rien concernant l’éveil de la puberté chez les garçons !

Je resterai ainsi muet ! Je me tairai ! Ainsi, personne ne saura !

N’ayant d’autres bonnes solutions secrètes à mettre en place, je jetterai discrètement les vêtements souillés dont jamais personne – même ma mère, pourtant très fouineuse de première nature – n’en remarquera la subtile disparition.

Afin d’éviter tout autre mésaventure de ce type – dont je ne savais pourquoi cela m’était arrivé – mais ayant d’instinct idées que cela pourrait encore se produire – je ne manquais d’aucune façon, au moment de me coucher, de faire un épais bourrage de papier toilette, vieux linges, vieilles chaussettes, et autres absorbants que je disposais en bonne place pour ‘’ récupérer pleinement ‘’ un possible nouvel épanchement incontrôlé !

Il me faut dire que dans la suite, tout se passera toujours fort bien même sans qu’aucune explication ne me fut jamais donnée par les uns ou par les autres.

Pour moi, cela restera longtemps un ‘’ mystère ‘’ que – comme dit ci-dessus – ni parents et ni famille ne me feront jamais dénouer !

Plus tard, de longues et bien sérieuses lectures me feront heureusement sortir de mon ‘’ innocence ‘’ ! C’est bien vers ces dernières années qu’Arlette (fille ainée d’Albert), Philippe (fils d’oncle Jules et de Suzanne) et les enfants de Lulu, nouvelle compagne de l’oncle Jules, vinrent de temps en temps passer avec nous trois, quelques jours de vacances ‘’ à la campagne ‘’ ! Tous stockés dans la chambre arrière gauche.

En 1957, revenu de Waterloo et réinstallé à Lustin, j’y terminais mes primaires avec de très bons résultats. Il y avait vraiment de quoi après le bouillant Collège Saint-Joseph !

Qu’allait-il advenir de moi ? Qui me guiderait vraiment ? Qu’allais-je faire de bon ?

Après toutes ces tribulations et mouvements divers, mes parents décidèrent de m’inscrire en première année des écoles ‘’ Moyennes ‘’ de Namur, rue de Fer.

Ce vétuste bâtiment occupé alors, rasé depuis, a fait place au nouvel Hôtel de Ville.

Trop sauvageon, trop perturbé par toutes les difficultés persistantes des parents, trop sans moyens, trop en tracas de toutes sortes, trop déstabilisé par l’alcoolisme grandissant de mon père, je me trouvais en ‘’ difficultés de suivre valablement les cours ‘’ ! Trop de nouvelles branches, trop de changements !

Pourtant, en juin 1958, je ‘’ passerai ‘’ avec une légère avance sur le minimum requis pour poursuivre une possible scolarité !

C’est bien pendant cette période que ma mère me fit fréquenter un orthodontiste connu à Namur, Monsieur Piret et son assistante ! Son cabinet étant situé sur la droite – dans une belle maison de ville – avenue Léopold II à Salzinnes (à peu de distance du pont de la Libération). Cette disposition avait été permise grâce à une somme d’argent qui lui était venue de la famille Wiame. Ainsi actualisé, pendant les mercredis après-midi, elle me rejoignait à la gare de Namur. De là, une dizaine de minutes de marche et nous étions arrivés.

Ces visites se répartirent sur une douzaine de consultations. Outre de nombreux plombages (encore pleinement en place 60 ans après) il y eut tentatives diverses par quelques différentes techniques de ‘’ redresser ‘’ une dent n’ayant pas trouvé naturellement sa place. Ce sera un échec qui sera – par d’autres moyens – pleinement réalisé des années plus tard.

REMARQUES : année scolaire 1957-1958 

Tout était difficile ! Au lieu de monter vers l’école du village, il fallait descendre à pieds (20 minutes par tous les temps) jusqu’à la petite gare de Tailfer située tout le long de la rive droite de la Meuse ! Y prendre un vieux train à vapeur compartimenté, faisant omnibus jusqu’à Namur gare et delà, marcher 300 mètres pour rejoindre l’école !

Je n’y trouvais aucune connaissance ! J’étais totalement perdu au milieu de trois centaines d’élèves donnant l’impression de n’avoir la moindre attention pour moi !

Très pauvrement habillé ; je portais alors des pantalons ‘’ golf ‘’ taillés dans le vieux costume du grand-père Paul. La zone des genoux dont le tissu de faux velours côtelé, souvent arraché lors de nombreuses culbutes, était bien maladroitement raccommodé avec du gros fil par une mère inexperte en ‘’ remise à neuf ‘’ ! Aussi, très pauvrement fourni en matériels scolaires, et pour le midi, alors que beaucoup allaient ‘’ au repas chaud ‘’, je mangeais ainsi mes petites tartines, assis avec d’autres‘’ pauvres ‘’ sur un banc extérieur dans la cour de l’école. Il m’arrivait de temps en temps, de pouvoir acheter un petit cornet de frites aux cuisines de l’école ! Le prix écoliers était fixé à 2 francs (de l’époque).

Nous sentions peser sur nous le regard des autres mieux pourvus ! Nous ne ferions jamais partie de leur milieu, de leur façon de faire, de leur façon d’être !

De plus, l’immense cour intérieure servant de ‘’ cour de récréation ‘’ était partagée entre les élèves des ‘’ moyennes ‘’ et ceux de l’école ‘’ technique’’ attenante. Les premiers désignaient les seconds sous l’appellation dégradante de ‘’ boulons ‘‘ ! Il s’ensuivait de nombreuses et très régulières grosses bagarres entre ces deux groupes ! Les pions sévissaient hardiment mais …

Pourtant, rapidement, les coûts de l’abonnement chemin de fer et autres frais scolaires, ne purent plus être totalement supportés par les parents tenus par beaucoup trop d’autres dépenses incompressibles !

Le manque crucial d’argent se faisait sentir en permanence, et les ‘’ virées de mon père ‘’ continuaient en s’aggravant fortement ! Les espaces entre chacune se faisaient plus courts !

Il devint nécessaire que j’aille de la maison à Namur à vélo ! On me trouva un vieux vélo à pignon fixe – reçu de je ne sais plus qui du reste – faisait ainsi une première affaire !

Près de 45 minutes en tout, par tous les temps, dans la pluie battante, dans le brouillard, dans le givre, dans le gel piquant, dans la neige parfois ! Même chose pour le retour !

De plus, une fois de retour, il fallait encore aider à la poursuite de la construction de la maison !

Chaque soir, chaque jour de congé, chaque samedi, chaque dimanche, il fallait donner ses bras pour faire avancer cette œuvre de construction qui avançait maintenant bien trop lentement.

Pourtant, cela ne rapportait pas d’argent ! Pas un simple centime de franc !

En fin de cette première année, vint le temps des vacances scolaires !

Mon père, avait eu dans un fort lointain passé, quelques relations avec le premier vendeur employé par la maison ‘’ A Saint-Michel ‘’, rue de Fer à Namur. Walter Ronveaux, propriétaire et exploitant de cette célèbre et bien connue enseigne vendant des vêtements de grande qualité.

Grace à cette ‘’ bonne relation ‘’, après avoir été détaillé sur toutes les ‘’ coutures ‘’, j’étais engagé comme préparateur/coursier ! On me fit confectionner sur mesures, un bien beau complet costume avec gilet adapté, chemise blanche à longues manches, cravate au dessin maison, souliers noirs lacés, et une casquette avec visière.

Sur le haut de la casquette, en grandes lettres de couleur amarante, venait à la vue de tous, l’inscription : << Maison à Saint-Michel !>> Mais, que vraiment y faire ?

Trente minutes avant l’ouverture du magasin, Madame Ronveaux arrivait, et nous faisait rapidement mettre en ligne !

Partant de la gauche, le premier vendeur, ensuite par ordre d’ancienneté, les autres vendeurs !

La ligne se terminait par la présence des trois jeunes ‘’ préparateurs/coursiers ‘’, et pour finir, un peu à part, l’indispensable et subtile retoucheur !

Le plus ancien venant directement dans la suite des vendeurs et moi, le dernier arrivé dans l’équipe, le dernier des trois à droite !

Une des premières choses à faire, était de nous découvrir et de saluer fort respectueusement Madame Ronveaux, d’un très chaleureux bonjour (malgré tout un peu ‘’ amidonné ‘’).

Cette dame, la cinquantaine, au style ‘’ riches bourgeois ‘’ habillée et chaussée top classe, toujours bien coiffée du matin, exposait toujours de nombreux bijoux, colliers, bagues, etc…

Tout suintait ‘’ le riche ‘’ ! Pas le moindre élément en TOC !

Elle donnait alors quelques directives du jour à son premier vendeur qui, ensuite, répartissait les tâches à réaliser par ses subalternes !

Cela fait, tous nous prenions un plumeau de très haute qualité et, nous avions notre section à épousseter de la meilleure façon ! Madame Ronveaux surveillait et contrôlait habilement !

Dès l’ouverture du magasin, elle s’installait de la meilleure façon dans un espèce de petit enclos fait de bois d’acajou positionné juste en face de l’entrée, quelques mètres en retrait.

Assise sur un confortable siège couvert de velours rouge, elle était là, trônant dans son bien !

Elle recevait les clients d’une voix souvent fort mielleuse (surtout s’ils étaient de haut rang) et prenait un très malin et jubilatoire plaisir à recevoir payements pour les achats faits ! Tenant compte de l’époque, c’était souvent du cash ! On pensait tous que si elle avait pu ‘’glousser‘’,

de plaisir, en glissant les précieux billets dans son tiroir à compartiments, elle l’aurait fait avec une très grande satisfaction ! Le cash rentrait ! Les bénéfices seraient au rendez-vous !

Dernier arrivé des préparateurs/coursiers, j’étais astreint par les autres de réaliser les travaux les plus indésirables, les plus désagréables, les plus monotones parfois !

Le pire était d’aller dans la réserve de cartons, logée sous les toitures, au très chaud de l’été, pour y formater les boitages qui allaient servir ensuite au transport des vêtements commandés par les clients, mais qui avaient dû subir préalablement quelques retouches.

Les ventes étant souvent importantes ; j’étais alors appelé en ‘’ renfort ‘’ pour aller livrer les boites chez les clients en attente de recevoir leurs achats.

Un vieux vélo, tout noir, avec de gros pneus, et à l’avant, une espèce de carcan fait de gros tuyaux de métal (comme les vélos d’époque servant aux livraisons). Une vraie lourdeur, un vrai pesant et très désagréable à manier !

Donc, chargé de la belle boite contenant le vêtement acheté et délicatement enveloppé dans du papier de soie, en costume, cravate, chemise blanche, souliers à lacer de couleur noire, chaussettes noires montantes, casquette sur la tête, il me fallait pédaler et pousser lestement ce ‘’ char ‘’ jusqu’au domicile de l’acheteur. Des villas ! Toujours des villas ! Encore des villas !

Souvent, il y avait du plat ! Pourtant, les montées de la citadelle et de la côte de Bouges, ne se faisaient qu’en poussant la ‘’ bécane’’ !

Malgré tout, assez bien reçu, je recevais le plus souvent une petite ‘’ dringuelle ‘’ pour récompenser ma bonne attitude et mon parfait accoutrement resté ‘’ impeccable ‘’ malgré les efforts réalisés dans les montées entourant Namur.

Pourtant, le travail était ingrat, et le ‘’ salaire ‘’était fort médiocre ! Les raisons données étaient exclusivement fondées sur le fait que, fort jeune, sans expérience aucune dans ce métier, il fallait absolument tout m’apprendre afin que je puisse – comme pour les autres arrivés avant moi – progresser, adopter ‘’ les bonnes manières bourgeoises ‘’ et surtout, devenir rentable !

Mais, cela n’arrangeait pas beaucoup mes parents qui attendaient du cash et vraiment, très accessoirement, mon instruction en bonnes manières bourgeoises !

Fin août, après deux mois de ‘’ servilité absolue ‘’, je quittais – sans faire autre bruit – cette Maison bien connue où, malgré tout, j’avais appris ces quelques belles et bonnes manières qui se révéleront de la plus grande importance dans la suite du temps !

Dès début septembre 1958, je devrais rejoindre ‘’ assez péniblement ‘’ la deuxième année !

Remarques :

Dès l’ouverture de l’Exposition 58, André, Fernand (frère de Jenny) et moi, un matin – très tôt du reste -prirent nos vieux vélos, et à force de mollets, nous rejoignîmes le site de l’EXPO.

Soixante kilomètres avec tant de montées ; surtout celle d’Overijse, connue pour l’importance de sa forte pente, fort propice aux courses de vélos.

Nous passions quelques courts moments chez l’oncle Jules, dont l’atelier/dépôt était situé à Saint-Josse, rue Traversière !

Superbe journée en toutes choses ! Que de découvertes ! Que de merveilles pour nous qui sortions de notre petit village si retiré de tout ! Si en retard sur tout !

En début de soirée, nous reprenions le chemin du retour, tristes et pestant bien grandement sur nos pauvres moyens de locomotion qui nous vidaient totalement de nos forces vitales !

Mais, cette journée restait et resterait ainsi dans notre mémoire comme ‘’ exceptionnelle ‘ !

Remarques :

Cet élément suivant a déjà été exposé partiellement ci-dessus mais est ici complété !

Durant ces années passées ici décrites, nous avions quelques fois reçu la visite de nos oncles Albert et Jules et de nos tantes apparentées. Certains de leurs enfants resteront mêmes ‘’ en vacances’’ avec nous quelques jours et quelques nuits. Il y avait certainement parmi eux, Philippe, Arlette (peut-être aussi ses frères), et les quatre enfants de Lulu.

JENNY : toutes nos ‘’ tendres’ ’rencontres secrètes et improvisées …
Il faut bien se rendre compte – dès à présent – que nos ‘’rencontres’’ autres que celles faites chez elle et ainsi bien à la vue de tous, suivaient un processus de messagerie assez élaboré pour l’époque.

Il faut savoir que nous n’avions alors chez nos parents respectifs aucun téléphone disponible.

Aussi, suivant la position des 3 éléments de la fenêtre de sa chambre vue de notre terrasse, je pouvais savoir si elle s’y trouvait. Alors, je grimpais promptement au sommet d’un très grand tilleul haut de plus de 15 mètres, placé derrière notre maison, juste à l’entrée du petit bois jouxtant ; propriété exclusive de l’YMCA.

Juché tout en haut, bien caché dans le feuillage, à l’aide d’un miroir porté plein sud, je dirigeais fort habilement le flux lumineux dans l’ouverture de sa fenêtre. Ainsi, nous pouvions – en suivant un code déterminé – nous fixer l’heure et l’endroit où nous pourrions joyeusement

nous retrouver dans les sous-bois, les anciennes carrières, les champs de blés, ou autres endroits que nous aimions, tous si propices à l’expression de la tendresse la plus innocente.

Septembre 1958 : rentrée scolaire, déconfiture et autres aventures suivantes .

Remarques :

Juin 1961verra notre départ ‘’ forcé ‘’ vers Namur (179, rue Salzinnes-les-Moulins).

C’est à cette date que finira le temps de ‘’ Lustin / le pays des gens biens’’!

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